Variations "vaillandines"
Vous
emmènerais-je un jour jusqu’au Val verdoyant où,
dit-on, s’est passé tant de choses ? C’est une île, un îlot de douceur
entre ciel et terre où je me réfugie chaque fois que je peux. Je n’y convie pas n’importe qui bien sûr, que
des gens triés sur le volet, que j’estime assez pour leur ouvrir ma porte. Les
habitués sont des élus dans cet espace de ‘l’entre-nous’, tout ce qui est clos et à l’intérieur de quoi on observe une règle me
paraît possibilité de bonheur : le monastère, la maison close, le parc
national… je ne
vous choque pas au moins, chère Frédérique.
Il faut dire les choses, n’est-ce pas ; sans fausse pudeur. La qualité que je préfère est sans doute la lucidité, fixer la réalité sans fard avec le regard froid de celui qui refuse le paraître, qui ne se joue pas de comédie sur sa vie et la vie en générale. C’est un drame qu’il faut jouer avec légèreté comme toutes les choses graves, il faut en goûter les arcanes infinies au fil des années pour faire cette expérience du drame.
Il faut dire les choses, n’est-ce pas ; sans fausse pudeur. La qualité que je préfère est sans doute la lucidité, fixer la réalité sans fard avec le regard froid de celui qui refuse le paraître, qui ne se joue pas de comédie sur sa vie et la vie en générale. C’est un drame qu’il faut jouer avec légèreté comme toutes les choses graves, il faut en goûter les arcanes infinies au fil des années pour faire cette expérience du drame.
Venir
ici, dans ce lieu hors du temps, est une marque conséquente de la confiance que j’accorde ainsi. Ceux qui l’ont
compris ne s’y trompent pas et m’en savent gré. Seuls les initiés sont capables
de l’estimer à sa juste valeur. Certains n’y sont venus qu’une fois, d'autres en rêvent encore. Déception,
ça arrive, car mon jugement est d'une fiabilité à toute épreuve. Il faut toujours laisser les choses
venir. Toujours. Laisser mijoter, ne rien brusquer, ne
rien provoquer. Les choses se font et se défont, j’interviens le moins
possible.
Les hommes devraient se méfier de leur foutue manie d'intervenir, de vouloir imprimer leur marque au événements, et évier autant que faire se peut, de mettre leurs gros pieds dans le plat; mais ils sont incorrigibles. Je les ai assez pratiqués pour vous le certifier.
Les hommes devraient se méfier de leur foutue manie d'intervenir, de vouloir imprimer leur marque au événements, et évier autant que faire se peut, de mettre leurs gros pieds dans le plat; mais ils sont incorrigibles. Je les ai assez pratiqués pour vous le certifier.
Vous
voyez, je ne vous cache rien, initiation qui vous donne des clefs qu’habituellement,
je ne dévoile qu'aux postulants, ceux que je choisis doivent découvrir. C’est mon petit rite à
moi, je le veux drôle et ludique, un drôle de jeu pour
une drôle de vie. Les
arias, les mauvais
coups
viendront bien assez vite. Pour le moment, tout va bien, tous mes invités ont bon pied bon oeil.
Ainsi, vous serez impardonnable, comme de prendre mes roses anciennes pour de vulgaires buissons d’aubépine ou mes superbes roses de noël, mes ellébores, pour de la verdure… ou pire. D’après la légende –Ah, comme les hommes sont friands d’histoires édifiantes et de contes merveilleux !- d’après la légende donc, le jour de Noël, de la naissance du christ, Madelon une jeune bergère pleurait, n’ayant rien à offrir au nouveau-né. Mais un ange fort ému par son chagrin, transforma ses larmes en une petite fleur blanche ombrée de rose : la rose de noël était née. Pour une fois, ne retenons que la légende et la vertu de Noël de nous porter hors du temps, de nous faire vibrer et communier dans un rêve collectif.
Bien sûr, tout savant ou pédant est à proscrire ici et vous n’en verrez jamais chez moi, à moins d’afficher à dessein un mauvais goût ostentatoire pour taquiner quelque ami… pas d'importun, pas de fâcheux. On m’accorde volontiers le don d'avoir la main verte et vous pourrez voir –et admirer j’espère- quelques unes de mes bouture ou reproductions parmi les plus réussies.
Tous les compliments les plus enthousiastes seront les bienvenus! Mais non, je plaisante, il ne faut jamais forcer sa nature... et je hais les tartuffes.
Ainsi, vous serez impardonnable, comme de prendre mes roses anciennes pour de vulgaires buissons d’aubépine ou mes superbes roses de noël, mes ellébores, pour de la verdure… ou pire. D’après la légende –Ah, comme les hommes sont friands d’histoires édifiantes et de contes merveilleux !- d’après la légende donc, le jour de Noël, de la naissance du christ, Madelon une jeune bergère pleurait, n’ayant rien à offrir au nouveau-né. Mais un ange fort ému par son chagrin, transforma ses larmes en une petite fleur blanche ombrée de rose : la rose de noël était née. Pour une fois, ne retenons que la légende et la vertu de Noël de nous porter hors du temps, de nous faire vibrer et communier dans un rêve collectif.
Bien sûr, tout savant ou pédant est à proscrire ici et vous n’en verrez jamais chez moi, à moins d’afficher à dessein un mauvais goût ostentatoire pour taquiner quelque ami… pas d'importun, pas de fâcheux. On m’accorde volontiers le don d'avoir la main verte et vous pourrez voir –et admirer j’espère- quelques unes de mes bouture ou reproductions parmi les plus réussies.
Tous les compliments les plus enthousiastes seront les bienvenus! Mais non, je plaisante, il ne faut jamais forcer sa nature... et je hais les tartuffes.
Á
propos de reproduction, les impressionnistes suspendus dans l’entrée sont très
quelconques, inutile de vous extasiez sur leur composition comme certains
ardélions promptes à tromper ma vigilence. Surtout, ne me dites pas non plus que le magnifique
coq qui orne un mur du séjour n’a pas de pattes : vous me fâcheriez. Les
initiés connaissent ce test redoutable et sourient béatement –ou regardent le
plafond, par ailleurs magnifique- quand je pose innocemment la question à un
impétrant, du ton le plus badin que je connaisse : « Et ce tableau, qu’en
pensez-vous donc ? » Sots et faquins se paonnent, prennent la pose
devant l’improbable chef-d’œuvre de ce volatile apparemment cul-de-jatte. Á
vous, merveilleuse amie, à vous seule, je confierai le secret de mon coq non
pattu, juste dans le creux de votre admirable petite oreille qu’ornent si bien
ces petites boucles à perle qui s’y balancent.
Imaginez-vous
tant de marques de confiance dans ces confidences, imaginez-vous ce que je vous
livre de moi, de façon détournée certes, tant ceci me répugne habituellement,
jeter ainsi son cœur et le reste en pâture sans crier gare me semble de la
dernière inconvenance. Et là, ne rougissez pas, m’est venu tout naturellement
l’envie de vous imaginer dans mon univers favori, rêve éveillé que vous
m'inspirez comme un poème onirique. Je vous en lirai volontiers quelques uns
dans le salon, douillettement installé sur le canapé dans une douce ambiance
tamisée. Vous verrez, la poésie, c’est d’abord une ambiance. Comme a écrit Jacques Prévert : « La poésie, c'est ce qu'on rêve, ce qu'on imagine, ce qu'on désire et ce qui arrive, souvent. »
Vous verrez le salon que j’ai chaulé avec d’amples gestes du bras pour donner aux murs cette impression d’intimité dans le mouvement. Oui, j’ai blanchi à la chaux et j’en ai proscrit toute toile peinte ; je n’ai laissé sur les murs que des objets d’usage, la chignole et la scie. Le minimum pour l’ascétisme du lieu. J’ai toujours été séduit par le style dépouillé des cisterciens, si sobre qu’il tend à l’essentiel, si moderne dans le style contemporain et si anachronique aussi dans cette société vouée à l’objet. Nous sommes ma chère amie, dans un temps mou… mais je ne veux vous ennuyer davantage avec mes remarques.
Vous verrez le salon que j’ai chaulé avec d’amples gestes du bras pour donner aux murs cette impression d’intimité dans le mouvement. Oui, j’ai blanchi à la chaux et j’en ai proscrit toute toile peinte ; je n’ai laissé sur les murs que des objets d’usage, la chignole et la scie. Le minimum pour l’ascétisme du lieu. J’ai toujours été séduit par le style dépouillé des cisterciens, si sobre qu’il tend à l’essentiel, si moderne dans le style contemporain et si anachronique aussi dans cette société vouée à l’objet. Nous sommes ma chère amie, dans un temps mou… mais je ne veux vous ennuyer davantage avec mes remarques.
Et Frédérique susurra de sa petite voix
flûtée : « Si, si, continuez… », lui qui ne demandait pas
mieux. Mais elle l’avait bien compris ainsi.
Oh Frédérique, vous êtes bien de votre
époque, vous lui ressemblez par certains côtés en tout cas, si je puis me
permettre : rétive, fière, prenant la vie à pleines brassées, impatiente
de profiter de cette liberté déroutante qui est la nôtre dans ce petit coin de
terre. Oui, il faut, il faut… je comprends fort bien la volonté de mes contemporains…
des êtres d’acier pour une époque molle ;
curieux contraste, n’est-ce pas ! Il faut se dépêcher avant d’éprouver des
regrets. Vous avez senti ce besoin, cette exaltation qui fait accomplir les
petites comme les grandes choses. Les femmes sont si sensitives.
Elle
souriait largement maintenant la belle Frédérique.
Elle devait se demander comment prendre ces propos si déroutants, ce discours
si décalé. « Je suis si partagée, murmura-t-elle enfin, j’ai envie et je
n’ai pas envie de découvrir votre antre -comment l’appelez-vous déjà- du val
verdoyant, le val d’Épy, un
petit paradis si j’en crois votre enthousiasme, il doit y faire bon vivre mais
je crains qu’il ne soit aussi une thébaïde qui pourrait me dérouter, où je
finirais par m’ennuyer… même avec vous. J’ai toujours eu peur de l’ennui. »
.
Lui continuait sur son idée, disant qu’il fallait chercher la richesse en soi, hors de tout objet extérieur, se consommer, se consumer et tendre vers l’essentiel, que tout n’est que paradoxe et qu’il faut vivre avec. Elle sentit alors un léger goût amer dans ses paroles, une inflexion du ton de sa voix qui, si minime fut-elle, ne lui échappa point. On ne peut tout contrôler et sa voix traduisait une pointe de mélancolie face à cet inéluctable, maintenant que sans la puissance divine, nous sommes livrés à nous-mêmes. Cette idée le rendit triste et le ton de sa voix s’en ressentit. Á quoi s’intéressait-elle donc qui pût leur être commun, et ce sourire, dans quel sens l’interpréter ? Oui, son sourire…
.
Lui continuait sur son idée, disant qu’il fallait chercher la richesse en soi, hors de tout objet extérieur, se consommer, se consumer et tendre vers l’essentiel, que tout n’est que paradoxe et qu’il faut vivre avec. Elle sentit alors un léger goût amer dans ses paroles, une inflexion du ton de sa voix qui, si minime fut-elle, ne lui échappa point. On ne peut tout contrôler et sa voix traduisait une pointe de mélancolie face à cet inéluctable, maintenant que sans la puissance divine, nous sommes livrés à nous-mêmes. Cette idée le rendit triste et le ton de sa voix s’en ressentit. Á quoi s’intéressait-elle donc qui pût leur être commun, et ce sourire, dans quel sens l’interpréter ? Oui, son sourire…
- J’ai
beau vous regarder, sans insister au-delà de ce que la décence commande,
scruter votre sourire sibyllin, énigmatique, je n’y vois que détachement,
rêverie… l’ennui bien sûr dont vous me parliez, qui serait né un jour de
l’uniformité a dit un poète bien oublié,
n’est-il pas extérieur à soi et tout n’est-il pas d’abord ontologique, les
ressources en soi ! Il s’était échauffé, pris par ses idées et elle le
contemplait sans expression ne sachant que dire, plutôt gênée. Elle était comme
un bouchon au fil de l’eau, qui vogue avec nonchalance dans le courant puis
s’enfonce soudain. Le déclic se produisait, à son insu, sans qu’elle y prenne
garde, une image qui lui traversait l’esprit, une rémanence qui s’imposait. Il
finit par rompre le silence en la fixant cette fois effrontément, avec toute
l’insistance qu’il pouvait mettre dans son regard.
Comment
vous dire ? Votre visage, vos traits réguliers, tout ceci m’émeut comme
s’il réveillait en moi des rêves latents qui s’inscrivent dans votre façon
d’être, comme s’il me révélait enfin quelque vérité restée secrète. Au-delà de
toute apparence. Qu’est-ce qui fait la singularité d’un être ?
Quelle est sa part de chance, de grâce et de disgrâce ? Vous connaîtrais-je à
travers les quelques photos que j’aurais pu voir de vous, approcher le mystère
de ce sourire à peine esquissé, teinté d’une ironie narquoise, un rien
inaccessible.
La
photo est trop statique. Il y faudrait un truchement, le jeu par exemple qui
permet de voir quelqu’un ‘in situ’, en naturel, sans afféterie ni prévention.
La photo manque de cette profondeur historique qui interpelle, même si l’on
devine une histoire à travers les lieux, les objets, les décors ou les
vêtements qu’elle dévoile.
Bien
qu’elle s’efforçât de le cacher, manifestement ce Val verdoyant l’intriguait
fort ; cette île du val d’Épy qui
me tenait tant à cœur et dont je tenais à lui faire partager le mystère. Une
île bien cachée dans son jardin luxuriant, protégé par de grands murs de pierre
brute bien crépis et rechampis.
« Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards des curieux… »
(Victor Hugo – "Les rayons et les ombres, XIX")
Fermé par de hauts murs aux regards des curieux… »
(Victor Hugo – "Les rayons et les ombres, XIX")
Et ces
personnages, ces oiseaux rares tout aussi mystérieux que j’y recevais ! Comment
expliquer cette rare connivence avec un
lieu, l’image d’un genre de paradis à ma mesure, une île-matrice en forme de
refuge. Je tentais une description.
Je
pousse les lourds battants cloutés de l’entrée, pénètre ensuite dans l’allée
des tilleuls flanquée d’un petit pavillon de briques sur sa gauche, et je suis
immédiatement transporté dans un autre monde, un monde ‘à moi’, le paradis retrouvé, ma continuelle raisonnable hantise… fuite sans
issue. Les
invités –je fais allusion au premier cercle de mes amis- sont effectivement des
êtres rares. Jasseron vit de
spéculations financières, mandataire, prête-nom de banques américaines en Europe dont j’ai oublié le nom, un dilettante qui vient d’offrir une coquette boutique à sa jeune
maîtresse ; je
le crois lucide, sans passions, sans goût pour l’argent. Claudette et Marianne
semblent très différentes, Claudy a quitté son mari et sa belle situation pour vivre en toute simplicité avec son
amant tandis que Marianne est, ô
l’affreuse formule, une femme entretenue. Pour moi, elles sont libres,
débarrassées des entraves de leur éducation, capables d’envoyer paître maris et
amants et de changer de vie si ça leur chante.
En assumant les contraintes. Il
y en a toujours quand on veut faire coïncider rêves et réalité. Le rire de Marianne, qui éclate comme ça, lumineux
et cristallin, m’inspire une tendresse infinie, l’envie de tenir sa main pour
lui renvoyer cet élan qu’elle me transmet. Elle est d’une culture raffinée sans
jamais chercher à humilier quelqu’un, à se mettre en avant. Quant à Claudette, elle m’est légère… Il y
a entre nous des affinités électives, « les cœurs s’ouvraient
et une bienveillance générale sortait de la bienveillance particulière. »
Comme
à mes hôtes préférés, j’aimerais vous faire l’honneur d’une visite à la galerie
de tableaux qui orne l’escalier qui dessert la mezzanine. Ils appartenaient à l’ancien propriétaire, un
original m’a-t-on dit, qui un beau jour a tout bradé sur un coup de tête. Et
les tableaux sont restés là. Des portraits de femmes, uniquement des femmes
qu’il présente avec beaucoup d’affection dans son journal ; car il a aussi
abandonné son journal comme s’il avait voulu se libérer de son passé. Il laisse
entendre qu’elles furent toutes ses maîtresses mais comment savoir ? Á force de
les fréquenter, de les regarder, je les connais désormais si bien qu’elles font
partie de ma famille.
Dans
son journal, il parle d’abord des femmes sophistiquées, extravagantes parfois,
dévorées par la passion comme Mathilde,
la première tout en bas de l’escalier, pulpeuse dans sa tenue quelque peu excentrique,
languide et palpitante dans les derniers feux de son été, à côté Roberte et son visage lourd et fatigué
mais des yeux où des éclairs de passion brûlent et se consument, plus haut dans
une encoignure, Lou un peu plus
jeune, fière dans sa robe décolletée, une étole de vison sur les épaules. « Elles portent le malheur en elles note-t-il, ce sont des tragédiennes. »
Ensuite,
figurent celles qui, bon gré, mal gré, acceptent leur condition, Antoinette avec son air triste et son
œil borgne, résultat d’un accident semble-t-il, un sourire à la Mona Lisa qui se dessine, mais plus
crispé, sans illusions, Marie-Jeanne
et son port rigide de celle qui sait ce qu’elle veut. On le voit nettement sur
le portrait, chignon sévère, sans un cheveu qui se rebiffe, et chemisier blanc
strict, à peine agrémenté d’un étroit liseré de dentelle, juste un trait rouge
sur les lèvres, un rien de bleu sur la paupière pour faire chanter le bleu de
l’œil.
Au-dessus
du palier, les battantes sont vêtues en décontracté, huppées parfois mais
seulement pour séduire. Une arme à leur panoplie. Pour elles, se battre c’est
exister, comme la belle italienne Giuseppina
à la taille avantageuse et la bouche pulpeuse, la ruse qui brille dans ses yeux
noirs ou, en face d’elle, Mariette
et son magnifique port de tête, volontaire, effrontée, frémissante sous ses
airs dégagés, manifestement prête à défier les hommes sur leur terrain.
Un peu
plus haut, c’est Pierrette, petite
femme dotée d’une farouche volonté, un regard de feu allié à un doux sourire,
légère faille dans sa détermination. Elle me plaît bien avec son foulard et ses
cheveux courts, cet air enjoué et sévère à la fois, « élégante malgré elle, précise le journal, dans sa robe de cotonnade
simple mais sans faute de goût. »
Je crois que l’auteur a un faible pour les jeunes femmes nature et libérées dont il a placé les portraits tout en haut, peut-être pour qu’ils reçoivent plus de la lumière du jour. Hélène d’abord, indépendante et consciente de sa dignité me semble-t-il. Sur le tableau, elle porte une robe en tissu imprimé et une veste en cuir rouge et Annie, une belle blonde féline qui note-t-il, « est une rare et précieuse réussite de la nature. » Dans son journal, les jugements sont rares ; celle-ci, il a dû beaucoup l’aimer. J’aime à imaginer leur vie ici, dans ce lieu qu’il appréciait sans doute autant que moi, je les vois allongés sur le canapé, divisant, le plus souvent silencieux, consultant une revue, un magazine ou regardant à la basse saison des bûches d’acacia se consumer lentement dans l’âtre.
Je crois que l’auteur a un faible pour les jeunes femmes nature et libérées dont il a placé les portraits tout en haut, peut-être pour qu’ils reçoivent plus de la lumière du jour. Hélène d’abord, indépendante et consciente de sa dignité me semble-t-il. Sur le tableau, elle porte une robe en tissu imprimé et une veste en cuir rouge et Annie, une belle blonde féline qui note-t-il, « est une rare et précieuse réussite de la nature. » Dans son journal, les jugements sont rares ; celle-ci, il a dû beaucoup l’aimer. J’aime à imaginer leur vie ici, dans ce lieu qu’il appréciait sans doute autant que moi, je les vois allongés sur le canapé, divisant, le plus souvent silencieux, consultant une revue, un magazine ou regardant à la basse saison des bûches d’acacia se consumer lentement dans l’âtre.
Tout
en haut sur le perron de la mezzanine, vous verrez Lucie et son sourire mutin,
d’une fraîcheur exquise avec sa fossette de petite fille. Elle porte une robe d’été, un tissu un peu raide dont les cassures révèlent quand
elle bouge les mouvements des hanches et des épaules. Elle figure aussi vêtue
d’un pantalon uni et d’un pull en cachemire, « qu’elle adorait emprunter à son mari » note le journal sans plus de précisions.
En
face d’Annie, deux autres portraits de la même jeune femme, Frédérique, dont l’un est
mystérieusement inachevé. Oui, oui, elle se prénomme comme vous Frédérique et je vous trouve même un
petit air de ressemblance. Vous riez et ne me croyez pas ; mais
regardez-les de plus près, vous verrez ! Sur le premier tableau, elle est vêtue
de façon décontractée : une jupe de toile avec pli creux
sur le ventre et pull bleu uni. Sur le second, elle est juste esquissée, comme une aquarelle, des
touches de couleur bleutée qui donnent une silhouette aérienne et un air
absent. Et tout en haut de la toile figure cette question sibylline : « Qu’elle tienne… mais pour quoi faire ? »
Sur le
mur aveugle de la mezzanine, deux portraits de femmes placés côte-à-côte. Pas
des tableaux mais des photos cette fois-ci, dans une pénombre qui oblige à
s’approcher pour distinguer les formes. Surtout pas d’éclairage qui ne ferait
que projeter des reflets sur le papier glacé. Vous serez tenue de chausser vos
lunettes chère Frédérique… Je
plaisante bien sûr !
Deux
femmes encore jeunes. Le visage poupin de la première, sa moue boudeuse cachent
mal un air de lassitude accentué par des poches sous les yeux. Je lui trouve
quelque ressemblance avec Roberte,
la femme du deuxième tableau en bas, en plus jeune, moins tendue. Contrairement
au peintre, pas de triche avec le photographe, pas de retouches à l’infini
comme maintenant avec l’informatique. Pour moi, ces monochromes bruts, sans
fard, s’approchent de la vérité. La seconde paraît plus naturelle, plus
spontanée, une bonne nature sur qui coule la vie, avec cette curieuse
impression d’un menton volontaire tempéré par un regard si tendre et si naïf.
Nulle
indication n’apparaît sur ces agrandissements. Photos d’amies, d’habituées du
Val verdoyant, me suis-je dit sans bien réfléchir. Mais nenni, ma chère Frédérique, nenni. J’ai retrouvé leur
trace dans le Journal de l’ancien propriétaire Raphaël Villefort. Je ne l’ai jamais rencontré et je l’avais même
oublié –je suis si oublieux des réalités- mais son nom est dans l’acte de
vente. J’aime ces documents pleins de vies du passé, de la pesanteur d’une
époque, qui recèlent des mystères et des secrets de famille jalousement cachés
dans des greniers, des études de notaires, des tabellions à lustrine ou dans
des archives poussiéreuses. Mon acte de vente, c’est l’histoire du Val verdoyant, les grandeurs et les
vicissitudes qu’il a connues, sa déshérence après la Révolution, la partition du domaine,
les hauts et les bas dus aux familles bourgeoises qui se sont succédé par
ventes ou héritages jusqu’à la Belle Époque puis
sa renaissance au début des années cinquante sous l’impulsion de Raphaël Villefort, mon prédécesseur.
Tout
un monde révolu, tout un vécu condensé en quelques dizaines de pages.
Ces
deux photos, Villefort y fait
allusion dans son Journal par
des anecdotes, quelques traits qui m’ont permis de les identifier. Ce sont ses
deux épouses, les deux femmes de sa vie. Il évoque l’amour-passion ravageur
avec "Boule" la première, une dépendance aussi
pernicieuse qu’une drogue dure dont il mit du temps à se guérir, une expérience
qui remplit la vie avant de la vider de son contenu. De Lisina sa "licorne", la seconde, il dit peu de
choses sinon qu’elle lui a transmis sa
sérénité, qu’ils avaient trouvé leur "point d’équilibre", dans le respect mutuel de
la liberté et de la souveraineté de chacun. C’est une belle formule,
n’est-ce-pas, qui m’a beaucoup influencé dans les pratiques relationnelles que
j’ai instaurées au Val verdoyant.
Clef essentielle pour comprendre le sens de mes actes.
Au
temps de ma jeunesse, je voulais avec les copains ‘nier les certitudes’ ;
drôle d’idée quand j’y repense. J’en garde cependant une certaine nostalgie, la
jeunesse bien sûr mais pas seulement ; une naïveté aussi, une fraîcheur
que j’espère retrouver comme une saveur jadis très appréciée, un goût de
liberté perdu dans les ruelles de ma mémoire. Avec cette évidence : la
poésie doit être affaire d’actes plus que de mots. Grande découverte de ma
jeunesse et voyez-vous, je ne m’en suis jamais remis. D’où le Val verdoyant bien sûr. C’est ma poésie
à moi, ma façon de passer à l’acte, d’être un poète agissant.
Mon
ami Merpin –qu’il repose en paix-
disait du ton un peu sentencieux qu’il aimait prendre qui il se levait pour
prendre la parole en lissant son grand nez, « Il vaut mieux
se brûler les ailes plutôt que de voler bas. » Vous voyez le ton. Il
pensait aussi que seule la poésie pouvait libérer l’espoir insensé de redonner
aux mots leur pouvoir et de restituer son mystère au quotidien.
C’est cet
enchantement
poétique que je veux recréer au Val
verdoyant, un havre de poésie qui dispense une sérénité qui libère
l’appétence de chacun. Je veux l’impossible : le "changer la vie" cher à Rimbaud, avec des hommes de qualité, des êtres souverains qui le sont d’abord d’eux-mêmes, maîtrisant leur
propre destin. C’est un but qui demande un effort constant, sans concessions,
et je m’y attelle. Oh, je n’ai pas toujours été ainsi et l’évolution s’est
faite lentement : d’abord timide et solitaire, un jeune homme seul, j’avais peur d’être piégé par la vie, je me contraignais, sérieux,
appliqué, industrieux, fuyant la passion comme le mal absolu, mais j’ai réussi
à faire la paix avec mon passé, avec mes contradictions. J’ai cessé de me
torturer et ne me dis plus « il ne faut pas
s’expliquer, mais se pétrifier, se faire un buste de pierre. » On ne peut demander à un
homme que ce qu’il peut donner. Oserais-je vous confier ce que je veux
vraiment, au fond de mon cœur : reprendre le beau rêve de Rimbaud, là où il l’a laissé quand il a
rejoint la cohorte des anonymes et l’uniformité du quotidien en s’enfuyant
quelque part dans le Harar au fond de l’Abyssinie. Mais à ma façon, avec mon
tempérament : avoir des passions telles qu’elles soient des exigences que
je partage avec des hommes de qualité.
Là-bas
dans l’antre du Val, nous formons
comme une micro société, étrange mélange de dépendance –comment faire autrement
?- et d’autonomie librement consentie. Bien que souvent considérés comme
immoraux et profiteurs, ce sont des êtres purs et souverains.
Entre nous, les rapports de forces n’existent pas… le reste vient de surcroît.
La maison est elle-même un atoll dans l’archipel de la propriété, le val d’Épy, protégée par de hauts murs
austères. Je me souviens d’un voyage dans une autre île, celle de La Réunion, des heures de marche pour découvrir
un cirque grandiose, isolé des autres parties de l’île par des barres
rocheuses, des à-pics vertigineux, Mafate le
cirque sauvage, préservé, une grimpée harassante dans un univers spongieux et
fermé. Un îlot dans une île comme la maison du val d’Épy. Je
m’y suis toujours senti souverain,
apaisé dans cette forteresse naturelle. Á côté de la maison, subsistait un
vieux vivier reconverti depuis en piscine. Á mon arrivée au Val, je l’avais
connu rempli de belles truites insaisissables et sauvages qui ont dû, au fil
des années, se faufiler dans le petit ruisseau qui alimentait le bassin et
coule maintenant à la lisière de la propriété.
Comme Frédérique avait envie de le croire ce
rêveur qui vivait son rêve –ou ce mythomane peut-être, on fait parfois de
curieuses rencontres- et voulait tant lui faire partager son enthousiasme. Tout
autre discours lui eût paru suspect mais là, assise et attentive, elle se
laissait bercer par ses belles paroles et en effet, comment ne pas croire
l’étincelle pétillant dans ses yeux quand il évoquait ses amis ? Elle se
sentait sous le charme, laissant glisser et s’étendre en elle le délice de ces
instants.
Ils
restèrent silencieux, hors du temps, prolongeant à l’unisson cette magie du
corps et de l’esprit. Ils ne sont pas si nombreux, ces instants. Inutile de les
décrire, ils ne se vivent pas par procuration mais sont donnés sans façon,
cadeaux parcimonieux de la providence. Des jugements bien sûr il y en eut, que
leur importait les regards durs, les remarques sévères, ils étaient au-delà du
commun, sans esprit de convaincre ou de choquer. Ils étaient comme leur vie,
glissant sans vagues, sans même un clapotis comme une truite, une
de ces truites dont il lui avait déjà parlé, qui glisse doucement entre les
doigts et s’éloigne d’un coup de queue, indifférente à ce qu’elle laisse
derrière elle. Serait-elle quelque part aussi inaccessible la belle Frédérique, une espèce de femme-truite au corps flexible qui,
sous des dehors aimables et délicats, cache une volonté dure comme un métal ?
* Jeu et souveraineté chez Vailland --
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* Jeu et souveraineté chez Vailland --
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