La fin des moyens - Pièce en 6 actes
La fin des moyens - Acte I
Scène I Le bureau d’Harry
[Harry Sachs est un
homme d’affaires très affairé, entouré d’un tas de matériel censés le relier au
monde entier et le tenir informé "en temps réel.]
[Harry, consultant l’écran de son ordinateur principal]
- Ouh, ouh, on dirait que ça se corse, les cours ont encore grimpé ce
matin. La bourse doit être encore en effervescence. La bourse… elle est comme
un enfant hypersensible, il lui en faut peu pour surréagir, dans les deux sens
d’ailleurs, et en ce moment elle est particulièrement gâtée…
[Le téléphone retentit,
la secrétaire lui demande si elle lui passe son correspondant]
- Monsieur Merrill Lynch, oui je prends.
- Monsieur Merrill Lynch, oui je prends.
Oui, allo Merrill,
bien sûr j’ai vu, je viens d’ailleurs de consulter les derniers cours qui sont
montés en flèche… c’es très réjouissant, sans doute c’est très bien, de mon
point de vue, c’est même trop bien, beaucoup trop bien. On touche maintenant
une autre couche de population, des emprunteurs moins solvables que nos clients
habituels, générateurs de problèmes bien trop prévisibles. Et en plus, le
passage à des taux variables n’arrange rien.
Oui, oui, je suis bien d’accord avec vous, tout ceci est excellent pour nous, d’une logique implacable. Quand le processus est engagé, personne ne peut le maîtriser.
[Harry vient à peine de raccrocher que son ami John-Pol Fitch pénètre dans son bureau]
[John-Pol] Salut Harry, tu as bien l’air songeur.
Oui, oui, je suis bien d’accord avec vous, tout ceci est excellent pour nous, d’une logique implacable. Quand le processus est engagé, personne ne peut le maîtriser.
[Harry vient à peine de raccrocher que son ami John-Pol Fitch pénètre dans son bureau]
[John-Pol] Salut Harry, tu as bien l’air songeur.
[Harry] Ouais,
c’est Merrill qui me téléphonait, d’une humeur radieuse avec les cours qui n’arrêtent
pas de monter. Plus il en a, plus il en
veut.
- [John-Pol] C’est humain, non ?
- [Harry] Justement, il réagit plus qu’il agit, c’est sa nature mais pas forcément une bonne chose dans nos métiers. Quand la mariée est trop belle, il vaut mieux se méfier.
- Tu veux te marier maintenant, première nouvelle ? (rire)
- Plaisante bien, profites-en, tu rias moins quand le prix de tes actions aura fondu et que ton portefeuille sera devenu maigre comme une ablette.
- Quelle sortie tu me fais là, quel pessimisme soudain !
- Même pas ; je parlerais plutôt de lucidité. (Il lui passe un document) Lit, regarde bien la tendance des différents diagrammes. Il suffit de savoir lire, c’est tout. Tu peux constater que le rêve qu’on vit actuellement pourrait bien se transformer en cauchemar.
- [Rendant son documents à Harry] Ce ne sont que des statistiques tu sais. Intéressantes certes, mais pas de quoi provoquer un pessimisme comme le tien.
- N’oublie pas que dans ce cas, les évolutions sont exponentielles.
- Tu as décidé de me gâcher ma journée. Fort heureusement, tu es bien le seul à jouer au Cassandre.
- Avec les nouveaux dispositifs, avec l’instauration des dérivés, les banques se désintéressent du devenir de leurs prêts. Elles laissent passer toutes les demandes de prêts pour palper le maximum de commissions.
[Harry tourne l’écran vers John-Pol] Jette donc un œil aux courbes d’évolution sur l’ordinateur.
[Le téléphone sonne à
nouveau]
- Oui, passez-le moi. (Se tournant vers John-Pol) C’est Morgan Stanley.
- Oui, allo Morgan, je suppose que tu me téléphones à propos des derniers cours boursiers. Ah, ils sont plus qu’excellents. Je t’avais déjà averti de cette tendance : les prix de l’immobilier ne cessent de grimper et tout le monde semble croire –ou feint de croire- que la hausse puisse être indéfinie. Les banquent semblent croire –ou feignent de croire- qu’elles pourront toujours se récupérer sur la vente des maisons dans un marché en dépression… à moins qu’elles ne parient sur une nécessaire solidarité et l’implication de l’État. Pourquoi pas. Nécessité ne fait pas seulement loi, elle fait aussi vertu.
- Oui, passez-le moi. (Se tournant vers John-Pol) C’est Morgan Stanley.
- Oui, allo Morgan, je suppose que tu me téléphones à propos des derniers cours boursiers. Ah, ils sont plus qu’excellents. Je t’avais déjà averti de cette tendance : les prix de l’immobilier ne cessent de grimper et tout le monde semble croire –ou feint de croire- que la hausse puisse être indéfinie. Les banquent semblent croire –ou feignent de croire- qu’elles pourront toujours se récupérer sur la vente des maisons dans un marché en dépression… à moins qu’elles ne parient sur une nécessaire solidarité et l’implication de l’État. Pourquoi pas. Nécessité ne fait pas seulement loi, elle fait aussi vertu.
[Il raccroche et s’adresse à John-Pol] – Morgan aussi se
fait des illusions. Il ne croit pas non plus au cercle vicieux de l’engrenage. Pourtant,
les précédents ne manquent pas. Les financiers aussi ont la mémoire courte. Lui
et ses amis pensent être intouchables, sûrs qu’il leur suffirait de crier « au secours » pour être
entendus et secourus. Toujours le syndrome de la barbichette.
- Qu’est-ce que tu racontes encore ?
- Le syndrome de la barbichette, c’est quand les choses sont tellement imbriquées qu’on entre dans un cercle vicieux infernal.
Toutes proportions gardées, ça se passe comme en 1913 quand les états étaient devenus tellement interdépendants par le biais des alliances réciproques qu’il suffisait qu’un seul ait l’idée saugrenue de déclarer la guerre pour que tous les autres se trouvent malgré eux entraînés dans une guerre mondiale.
- Si je comprends bien, tu me mets en garde contre la logique de la situation actuelle et tu me susurres amicalement d’éviter comme on dit de mettre tous mes œufs dans le même panier.
- C’est un minimum, mais n’oublie pas également que les œufs sont objet fragiles.
La fin des moyens - Acte II 28
Scène I La fête – Harry, John-Pol, Morgan, Merrill
[Harry reçoit quelques
amis pour fêter son dernier coup de bourse qui s’est révélé être un coup de
maître.]
- [John-Pol] Je lève mon verre à la gloire
de notre ami Harry qui possède une intuition extraordinaire, un nez digne d’un
fox-terrier, sans en avoir les longues
oreilles. [rires et approbations]
- [Morgan] Pourtant, on dit que l’argent n’a pas d’odeur. Erreur, car lui, notre pote Harry, le renifle de loin, surtout les gros chèques. [rire général]
- [Merrill] Non, non, surtout pas de chèques, uniquement du scriptural qui voyage sans passeport.
- [Morgan] Alors Harry, nous donneras-tu enfin ta recette miracle pour devenir riches en quelques clics comme si on claquait des doigts. Si je tape "abracadabra" sur mon clavier, crois-tu que ça fera le même effet ?
- [Merrill] Penses-tu, il doit tout bêtement aller faire brûler un cierge, le plus gros qu’il trouve, entouré de sa formule magique…
- [John-Pol] Mais non, il a dû passer un pacte sulfureux avec le diable, comme Faust il a vendu son âme à Satan pour s’emparer du mot magique. [rire général]
- [Morgan] Nenni, nenni, le mystère est bien au chaud dans son coffre blindé. Alors, cher Harry, parle-nous donc ce secret si bien gardé ? Dans notre secte d’amis, fais de nous des initiés.
- [Harry] Cher ami, par définition, un secret est un secret n’est-ce pas.
- [Tous] Un discours, un discours. Le secret, le secret…
- [Harry] Ah… si secret il y avait vraiment, je le vendrais très, très cher, tellement cher que vous n’auriez pas les moyens de vous la payer, même en vous coalisant.
- [Morgan] Justement, pour qu’on ait vraiment les moyens, initie-nous grand maître, au mystère de ta potion magique. N’es-tu pas devenu depuis cette éclatante manœuvre financière, l’un des hommes les plus puissants de la planète, celui qui peut le mieux peser sur les décisions financières qui devront être prises de toute façon pour conjurer la crise actuelle.
- [Merrill] Nul n’est mieux placé que toi pour tirer les ficelles puisque ta victoire même, par son ampleur, a contribué à accentuer la crise économique.
- [Harry] Ah… je ne suis pas le Satan de l’économie et je ne saurais pas quoi faire de vos âmes –si tant est que vous en ayez une- (réaction générale) comment dire, il faut avoir le nez creux (puisque vous aimez les images olfactives) pour évaluer dans quel sens souffle la bise impalpable de Wall Street.
- [John-Pol] Alors, levons notre verre en l’honneur de celui qui a fait d’une catastrophe une force, qui a su prendre les bonnes décisions au bon moment.
- [Harry] Profitons-en puisque l’avenir étant ce qu’il est, d’une dimension qui nous dépasse, mordons à belles dents dans ce que nous offre le présent.
La fin des moyens - Acte II
Scène II La fête (2)
[Des voix se font
entendre, tenant un langage plutôt abscons qui laisse sceptiques les invités]
- [Oh, la bonne loi que voilà, juste quand il
faut, une loi qui veut libérer les marchés –qui pourrait être contre ?-
mais quelle aubaine pour les lobbies ô combien puissants que cet article si
anodin en apparence qui interdit toute régulation des dérivés.
"Dérivés", dites-vous, ah ne se cache-t-il pas derrière ce terme passe-partout un super moyen permettant aux banques locales de se décharger sur les banques d’investissement et d’être ainsi irresponsables.
Il fallait y penser et le Congrès l’a fait. Merci messieurs les députés !
"Dérivés", dites-vous, ah ne se cache-t-il pas derrière ce terme passe-partout un super moyen permettant aux banques locales de se décharger sur les banques d’investissement et d’être ainsi irresponsables.
Il fallait y penser et le Congrès l’a fait. Merci messieurs les députés !
[Chacun à tour de rôle]
- [John-Pol] Quelle est cette soudaine apparition qui nous interpelle,
-[ Morgan] Un Harry ventriloque flanqué de son acolyte satanique,
- [Merrill] Un "homo economicus" qui aurait tout compris,
- [John-Pol] Un nouveau Machiavel au visage de l’économie,
- [ Morgan] Tous les thuriféraires ligués et jaloux de son succès,
- [Merrill] Une nouvelle bible pour gouverner l’univers…
- [John-Pol] Quelle est cette soudaine apparition qui nous interpelle,
-[ Morgan] Un Harry ventriloque flanqué de son acolyte satanique,
- [Merrill] Un "homo economicus" qui aurait tout compris,
- [John-Pol] Un nouveau Machiavel au visage de l’économie,
- [ Morgan] Tous les thuriféraires ligués et jaloux de son succès,
- [Merrill] Une nouvelle bible pour gouverner l’univers…
- [Harry] Tout cela et autre chose, en somme. Bon, reprenons tout ceci.
Leçon n° 1 : mettre le pied dans la porte du système. Lobbying oblige. Rien de tel pour redistribuer les cartes avec des mesures comme abolir le contrôle des changes en Angleterre ou permettre de réunir banques de dépôts et banques d’affaires…
- [Merrill] Oh la, la, que tout ceci est donc assommant ! [acquiescement général]
- [Harry] Tout ceci peut vous paraître sans intérêt, n’est-ce pas, et bien pas du tout. C’est même essentiel pour permettre aux banques de spéculer sur les marchés avec l’argent de leurs clients. Avec l’argent des autres… Et avec l’informatique, c’est encore plus simple, un jeu d’enfant pour qui sait utiliser le logiciel.
- [Morgan] Tu prévoies combien de leçons pour qu’on devienne opérationnels. En attendant, passe-moi donc les amuse-gueule.
- [Harry] Leçon n° 2 : Appliquer le credo : Échanger plus pour spéculer plus… en mettant au point des produits innovants.
- [John-Pol] Excellent programme ; nous sommes toute ouïe.
- [Merrill] Ah oui, belle expression que ces "produits innovants" qui doivent cacher bien des choses et des combines très secrètes !
- [Harry] Tout ceci cache effectivement des processus financiers sophistiqués- il faut bien appâter le public- qui demandent finesse d’analyse et expérience du marché.
- [Morgan] Mais quoi exactement ? Qu’y-a-il de si mystérieux derrière tes processus à la gomme ?
- [Harry] Ils répondent aux doux noms fleuris de swaps, de shorts… sans compter les fameux dérivés cités par les "voix du ciel".
- Ben justement, il est bien temps de nous mettre au parfum.
- [Harry] Dans la relation entre un emprunteur, une banque locale qui prête et un investisseur, l’astuce consiste à transférer le prêt à l’investisseur. Résultat d’après vous ?
- [Merrill] Résultat nul, balle au centre.
- [Morgan] Arrête de déconner, il va en perdre son humour.
- [Harry] Vous avez raison les amis, plaisantez bien, plaisantez à votre aise, gaussez-vous de ce marché mondial, cet immense aire de jeu où tous les coups sont permis, arène où les dés sont pipés, où l’on sait qui va revêtir l’habit de lumière et qui va jouer le rôle du taureau.
On dirait un rituel théâtral, les rôles sont distribués, les projecteurs ciblent sur les vedettes rejetant le reste dans l’ombre, mais ici sur la scène intime quand un personnage est sacrifié, quand il meurt, il se relève, aussitôt ressuscité.
- [Merrill] Belle tirade que voilà cher ami, ô rage, ô désespoir… mon verre est vide… et la bouteille aussi. Eh oui, nous voilà confrontés à la triste réalité, l’insondable viduité de la dive bouteille et l’inanité de nos actes. Empressons-nous d’en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer.
[Long silence gêné
puis Harry reprend]
- [Harry] Reprenons pour la leçon n° 3, la dernière pour cette fois.
La banque ne pense plus qu’a optimiser ses bénéfices, et ce sans contreparties puisqu’elle a refilé ses prêts aux investisseurs, contribuant à déséquilibrer le système. Mais encore ?
- [Merrill] Ben, c’est normal, elle optimise ses processus…
- [Harry] Belle expression. Décidément, vous n’êtes pas très coopératifs mes amis.
- [Merrill] Ben… on n’est pas comme toi les vedettes de la bourse.
- [Harry] Les banques d’affaires détentrices des crédits en profitent alors pour proposer des assemblages financiers, les CDO, les Collateralized Debt Obligations, qui mélangent actifs fiables et actifs "pourris" qui deviennent ainsi invisibles. Et le tour est joué ! Je ne vous dis pas la suite quand le volume des prêts explose…
[[Ça suit toujours, là-haut au poulailler… vous avez pris
des notes… mais (se retournant) n’ai-je point entendu quelques légers
ronflements, et derrière mon dos encore…]]
- [John-Pol] Et toi Harry, tu as su profiter de la situation. Je vous propose de porter solennellement un toast au plus embrouilleur de la planète !
- [Harry] Merci pour l’euphémisme mais malgré vos mines goguenardes, on peut aussi jouer au super thriller au titre particulièrement "évocateur" de "grand short des hedge founds". Sous cette appellation se cache ce que vous appelez mon grand secret, celui qui a fait ma notoriété mais qui finalement n’est que l’extension du processus qu’on vient de voir.
- [Merrill] Oh la la, quel brillant exposé. Tout ça me rajeunit et me rappelle mes années de fac e, les cours d’économie qui m’ont tant fait souffrir. Mon cher Harry, tu nous laisse sans voix.
- [Harry] Alors pour le moment, buvons à notre amitié qui m’importe plus que ma soudaine notoriété.
- [Morgan] Oui tu as bien raison, buvons à nous et à ta réussite.
La fin des moyens - Acte III
Scène 1 – La crise – Harry et Lehman
[Des éclats de voix se
font entendre au secrétariat et un homme entre en trombe dans le bureau, se
laisse tomber dans le fauteuil]
- Harry, ah Harry, pourquoi m’as-tu trahi ? Pourquoi
Harry ? J’ai tout perdu, sais-tu, tout perdu.
[Harry reste quelques secondes sans réactions puis se
reprend] – Je ne te prie pas de t’asseoir, c’est déjà fait. Mon cher Lehman, tu mélanges tout, réalité et sentiments, cœur
et affaires qui ne sont pas forcément affaires de cœur.
[Lehman n’écoute rien, tout à ses idées] – Tu aurais pu… Tout ce qu’on avait en commun… et l’amitié, oui l’amitié, Harry, dont tu sembles faire si peu de cas.
- Tu brasses trop de pensées, comme toujours, l’amitié dont tu sembles si friand, n’est pas un blanc-seing. Une opération comme celle que j’ai réalisée –et réussie- ne se conçoit pas sans des zones d’ombre et par là même, nécessite un total secret.
- Que tu présentes bien les choses, que tu réécris bien l’histoire ! En fait, tu m’as planté, tu m’as traité comme quantité négligeable et tu savais, espèce de salopard, hein tu savais pour les "subprimes". Tu n’ignorais pas, et depuis fort longtemps, que ce système était gangrené, bientôt condamné… et moi hors jeu par ta faute. Seuls quelques malins et quelques initiés (par toi, tiens donc) s’en sont tirés.
- Je refuse de me justifier devant toi… ou devant quiconque d’ailleurs. J’ai assez mis en garde les intéressés, ceux qui avaient le pouvoir d’arrêter tout ça, avant que ce soit trop tard. Mais les gens sont comme toi, ils n’entendent que ce qui les arrange, sous le joug des sirènes qui les charment. Je ne suis pas Ulysse pour les persuader de s’attacher au mât du navire.
Tu me prêtes un pouvoir que je n’ai pas.
- Ne me raconte pas d’histoires Harry, tu es au cœur du système, très bien placé pour en démonter les rouages et en connaître les failles.
- Eh alors, tu crois vraiment que j’étais libre, seul à décider. Le consortium secret comprenait treize membres éminents représentant des banques d’affaires, des compagnies d’assurance, des groupes financiers ainsi que des agences de notation. Rien que du monde de la finance, comme tu peux le constater.
- Oui, je reconnais bien ceux que certains appelaient "le gang des déréglementeurs" parce qu’ils avaient réussi à faire abroger les textes qui les gênaient, préalable à leur stratégie, mais aussi parce que dans le terme même, il y a "menteurs".
- Ne cherche pas une quelconque conspiration d’un groupe aux intérêts mêlés là où il n’y eut qu’une exploitation, assez retorse j’en conviens, des possibilités offertes par le système boursier.
- Idée diabolique que d’impliquer des agences de notation dans votre système pour qu’elles apportent leur caution technique et morale à votre montage politico-financier. Car vous avez aussi réussi à vous mettre les politiques dans votre poche !
- Tu sais parfaitement que rien n’est possible sans intervention des politiques Sans eux, pas de loi de "modernisation des marchés," pas de déréglementation et donc pas de manœuvre boursière possible.
- Chapeau : le coup était énorme et sans grand danger
pour vous. Bénéfice net en millions de dollars ? Certains ont même parlé
de milliards de dollars. Au point où on en est, pourquoi pas !
- Je t’en prie, pas toi. Laissons pérorer les concierges, se répandre les mauvaises langues, laissons pisser des lignes aux plumitifs et hurler les chiens quand passe la caravane. Quelques jours et il n’en subsistera rien.
- Que tu crois. On fait comme s’il ne s’était rien passé. C’est toi qui rêves maintenant. Sache que vous ne vous en tirerez pas comme ça !
[Lehman part en menaçant du doigt et en claquant la porte
tandis qu’Harry se prend la tête dans ses mains puis relève la tête en
s’exclamant] : Ah mon dieu, que je me sens seul !
La fin des moyens - Acte III
Scène 2 – Harry et sa fille Christy
La fin des moyens - Acte III
Scène 2 – Harry et sa fille Christy
[Harry va s’asseoir
dans son fauteuil tandis que sa fille pointe le nez dans le bureau]
- Coucou petit père, à quoi penses-tu donc, rêveur et engoncé dans ton ? Tu n’as pas très bonne mine. Pourtant, je ne cesse d’entendre parler de toi, monsieur Harry par ci, monsieur Harry par là, il semble que tu sois devenu un personnage en vue.
- Bonjour Christy, viens t’asseoir près de moi. Ne confonds pas la vie avec les vagues de l’actualité. Porté aux nues aujourd’hui, descendu en flèche demain, oublié le surlendemain, telle est la dure règle qu’appliquent les médias qui dominent la société civile. Lucide et sans illusions sur les propos laudateurs qu’on me tient à profusion aujourd’hui.
Je suis fatigué de tout ça.
- Retourne-toi vers tes amis, Merrill Lynch et Morgan Stanley par exemple, qui ne te lâchent plus depuis quelque temps. Vas donc les voir au lieu de les joindre avec tous les ustensiles qui t’entourent, téléphones cellulaires, ordinateurs, tablette… que sais-je encore … on croirait un magasin d’informatique.
- C’est la rançon de mon métier, et de beaucoup d’autres… demain peut-être, de tout le monde. On se voit sur écran mais bien sûr, pour l’apéro, c’est pas le pied.
- Alors, change de métier. Sais-tu que de plus en plus de gens changent de métier et même de vie. Raz le bol d’une vie citadine trépidante, d’un boulot stressant et puis aus si l’envie de vivre autre chose avant qu’il ne soit trop tard.
- Peut-être, peut-être… mais l’addiction au boulot fonctionne comme une drogue, une affaire en appelle une autre… dans ces conditions, comment décrocher ? Quant aux amis dont tu parles, ce sont des relations d’affaires, des acolytes parfois quand on a des intérêts communs, adversaires dans le cas contraire. Question de tactique à appliquer dans tel ou tel cas de circonstance.
- Et tes autres amis alors ?
- Lehman sort d’ici, il m’a fait une vraie scène de jalousie. Il m’en veut de l’avoir laissé à l’écart, me jetant à la figure qu’il n’était pas, comme je le croyais, quantité négligeable, une espèce de laissé pour compte bon à subir les effets collatéraux de nos décisions dévastatrices.
J’ai senti une haine monter en lui, qu’il était devenu mon ennemi.
- Et John-Pol ? Tu le connais depuis longtemps et vous semblez assez proches tous les deux.
- John-Pol, bien sûr. On se voit souvent mais pour des raisons professionnelles ou avec d’autres relations pour faire un bon gueuleton ou un partie de golf. Ça ne va pas plus loin. Il est toujours dans sa bulle et aussi égoïste que moi.
- Eh ! Et moi là-dedans ! Moi je suis là, ta fille Christy, tu te souviens.
- Ah ! Arrête donc de me faire toi aussi une scène de jalousie ! Oui, oui je me souviens, je ne suis pas encore gâteux. Toi, bien sûr, mais tu as ta vie et j’en suis parfaitement conscient. Je ne me vois pas dépendre de toi et par conséquent, rogner ta liberté.
- Ouh la la, que de questions existentielles ! Je croyais que tu étais un rationnel qui voyait tout à l’aune de ses analyses, sûr de son expérience et de ses compétences.
[Harry reste seul sur
scène]
- Elle sait bien que je l’aime elle ma fille, d’un amour exclusif que je me reproche parfois et qui me conduire à vouloir détourner tous les hommes qui l’approche.
Oui, je me le reproche, je me fais violence parfois mais on ne se refait pas, n’est-ce pas !
La fin des moyens - Acte IV
Scène I – Harry et ses amis
[Le groupe est
inquiet : les médias font un battage considérable depuis que la crise a
pris une dimension mondiale.]
- [Merrill] Que se passe-il encore, quelle est cette cabale lancée contre nous ?
- [Harry] Lors de chaque désastre, il faut désigner des responsables, désigner du doigt les boucs-émissaires.
- [John-Pol] Il va donc falloir qu’on en trouve, passer à d’autres le mistigri.
- [Merrill] Ce qui veut dire ?
- [John-Pol] Le mistigri symbolise une embrouille dont on veut se débarrasser à la refilant à quelqu’un d’autre.
- [Morgan] Donc, à nous de jouer.
- [Merrill] Ola, pas si vite, que nous reproche-t-on exactement ?
- [John-Pol] Oh, peu de choses ! D’abord d’avoir sans vergogne ramassé la mise en accentuant la banqueroute générale, conséquence du syndrome de la barbichette, mais c’est surtout moi qui suis visé. Et surtout d’avoir fait payer la casse par le citoyen, d’avoir "braqué l’État" en le menaçant d’une faillite générale du système, d’avoir obtenu le renflouement des banques à hauteur de mille milliards de dollars. Sacrée performance !
- [Harry] Pour impliquer l’État, le mettre à genoux, il suffit de lui agiter devant les yeux le chiffon rouge de la faillite et il réagit comme le taureau face au matador. Leçon à retenir. On devrait demain étudier dans toutes les universités ce bras de fer avec l’État comme les académies militaires décortiquent la stratégie de Napoléon à Austerlitz.
- [Morgan] Bon, on nous a donné un chèque en blanc pour à l’avenir pouvoir continuer à spéculer en toute impunité. Mais dans l’immédiat, comment éteindre ce feu que les médias ont allumé et nous désigne comme les coupables de cette déconfiture aux yeux de l’opinion publique ?
- [Harry] Revenons aux principes, rien de tel que de revenir aux fondamentaux : le vrai pouvoir s’exerce dans l’ombre. La lumière, ce sont les projecteurs de l’actualité qui nous éblouissent, nous mettent au premier plan aussi sûrement que s’ils nous montraient du doigt. Il nous faut donc autant que possible faire le mort : Pas d’interviews (pas question de vous faire mousser), pas de dîners en ville (vous ferez carême, ça vous fera du bien), pas de réponses aux provocations (et elles ne manqueront pas), passer la parole à nos avocats, ils sont payés (très chers) pour ça.
- [John-Pol] Ça ne suffira pas Harry.
- [Harry]
Effectivement, ça ne suffira pas. Simple préalable. A notre époque et de plus
en plus, l’opinion se fait largement par les médias. C’est leur force –je
n’épiloguerais pas sur ce thème- mais aussi leur faiblesse.
- Et c’est là bien sûr que nous intervenons. Tout le monde sait que l’argent est le nerf de la guerre, il est également une arme redoutable sinon absolu contre les mauvaises pensées de nos adversaires, antidote radical aux velléités de malfaisance des jaloux qui voudraient bien nous nuire.
- [Harry] Noyauter les médias, bien sûr, processus bien rôdé qui peut aller du stipendié bien rémunéré jusqu’au tarissement des sources publicitaires des médias en question qu’on finance en grande partie par ce biais. Indispensable. Mais pas suffisant.
- [Merrill] Tu m’intrigues Harry. Alors que proposes-tu qui doive nous tirer d’affaires ?
- [Harry] Oh, rien de bien nouveau, on peut agir sur le robinet financier comme sur le robinet de l’information, la réduire, jouer l’intox… les moyens ne manquent pas ; on verra le moment venu.
- [John-Pol] Cependant, ce qui est en cause, à travers une opinion manipulée, c’est bien la relation avec cet hydre qu’on appelle l’État. Il a été à l’origine du processus avec sa loi de libéralisation et il doit également être à sa conclusion avec son implication dans le règlement financier de la crise. Au prix d’une sévère ponction sur la collectivité.
- [Merrill] Si j’ai bien compris, c’est ce que nous allons faire. Et sans plus tarder.
- [Harry] Il faut bien que quelqu’un paie la note : la question est bien de se repasser cette patate chaude dont, bien sûr, personne ne veut.
- [John-Pol] Et dans ce domaine aussi, on est devenu des experts.
La fin des moyens - Acte IV
Scène2 - Bataille de communication
[Réunion de crise.
L’opinion publique et les médias le mettent directement en cause, leur impute
carrément la crise, font des reportages larmoyants sur les victimes….]
- [Merrill, très
contrarié] Écoutez plutôt messieurs, c’est édifiant, écoutez bien cet
article publié dans le journal local de ce matin :
Beaucoup de nos lecteurs se demandent comment on en est arrivé à la terrible situation actuelle qui jette à la rue des millions de nos concitoyens : eh bien la réponse fait froid dans le dos et questionne vraiment sur la façon dont certains mettent notre société en coupes réglées. Voici, schématisé, le processus utilisé pour
La stratégie financière repose sur quatre grandes étapes :
1- D’abord, les banques de crédit cèdent leurs prêts immobiliers à des banques d’investissement ;
2- Ces dernières fabriquent un nouveau produit financier répondant à l’acronyme barbare de CDO, espèce de mayonnaise mélangeant crédits fiables et crédits très douteux,(les crédits toxiques) ce qui fragilisent d’autant ce type de produit.
3- Pour que, malgré tout, ce produit soit attractif, on lui refait un lifting et on le refile à une agence de notation chargée de lui décerner un magnifique AAA, sésame obligé d’une excellente rentabilité.
4- Les investisseurs comme les fonds de pension, peuvent acheter ces titres juteux et garanti les yeux fermés.
La boucle est bouclée et quand le volume des prêts explose, on démarche alors des populations plus pauvres donc moins solvables auxquelles on propose des prêts à taux variable…
Beaucoup de nos lecteurs se demandent comment on en est arrivé à la terrible situation actuelle qui jette à la rue des millions de nos concitoyens : eh bien la réponse fait froid dans le dos et questionne vraiment sur la façon dont certains mettent notre société en coupes réglées. Voici, schématisé, le processus utilisé pour
La stratégie financière repose sur quatre grandes étapes :
1- D’abord, les banques de crédit cèdent leurs prêts immobiliers à des banques d’investissement ;
2- Ces dernières fabriquent un nouveau produit financier répondant à l’acronyme barbare de CDO, espèce de mayonnaise mélangeant crédits fiables et crédits très douteux,(les crédits toxiques) ce qui fragilisent d’autant ce type de produit.
3- Pour que, malgré tout, ce produit soit attractif, on lui refait un lifting et on le refile à une agence de notation chargée de lui décerner un magnifique AAA, sésame obligé d’une excellente rentabilité.
4- Les investisseurs comme les fonds de pension, peuvent acheter ces titres juteux et garanti les yeux fermés.
La boucle est bouclée et quand le volume des prêts explose, on démarche alors des populations plus pauvres donc moins solvables auxquelles on propose des prêts à taux variable…
- [Morgan] Ceci est intolérable. Décidément, il nous faut au plus vite réagir pour éviter ce genre d’articles et museler la presse qui nous est défavorable.
- [Merrill] Et ce n’est qu’un exemple, j’aurais pu ouvrir beaucoup d’autres journaux avec un résultat comparable. Cette fois, c’est la guerre.
Harry avait raison et je le rejoins à fond sur les solutions qu’il a préconisées lors de notre dernière réunion.
- [Harry] Il reste à nous mettre d’accord sur les actions à réaliser, mais mes amis, je pense que, compte tenu de l’urgence et des intérêts en jeu, ce sera chose aisée. En préalable, je vous propose de créer un fonds secret avec une mise de fonds initiale de cent millions de dollars dont je finance la moitié, le reste réparti à parité entre vous, pour améliorer notre image et être plus convaincants envers des adversaires qu’il faudra bien à un moment ou à un autre, transformer en partenaires.
- [John-Pol] Donc, pas de vagues, on est gentils avec tout le monde et on achète, on finance tout ce qu’on peut, histoire de mettre de l’huile dans les rouages.
- [Harry] Tu as le don pour deviner ma pensée, John-Paul. Donc, pour continuer notre action, pas d’initiatives intempestives et surtout, pas de panique. On garde son calme en toute circonstance, on fait le gros dos en attendant des jours meilleurs. C’est comme le mal de ventre, douloureux, violent parfois mais rapide et sans conséquences.
- [Merrill] Oui, oui, tu as raison, pourquoi se prendre la tête après tout, on a les bonnes cartes en mains.
- [Harry]
Décidément, vous êtes en pleine forme, Merrill aussi m’a devancé. Je constate
qu’on est tous sur la même longueur d’ondes. C’est là un point essentiel et je
vous remercie de votre confiance.
- [John-Pol] Morgan devrait prendre la tête de notre consortium financier et lancer un premier appel de fonds dès demain. Y a-t-il des objections à cette proposition ? (chacun accepte d’un signe et on s’apprête à se sépare sur cette décision)
- [Merrill] Voilà, maintenant qu’on a pris ces décisions, je me sens plus léger.
- [Morgan] Je vous remercie à mon tour de la confiance que vous venez de me témoigner et je puis vous assurer que je vais mettre tout mon zèle à appliquer ce programme.
[Harry raccompagne
tout le monde sauf John-Pol qui reste avec lui]
- [Harry] Sacrée leçon d’humanité, n’est-ce pas.
- [John-Pol] Oui, j’ai admiré ta manœuvre et j’ai vu comment Morgan et Merrill se sont si vite ralliés à notre panache blanc. Eux qui passaient pour les plus dangereux prédateurs de la place nous ont rejoint sans coup férir, trop contents, soulagés même que tu t’occupes d’éteindre le feu sans se cachant derrière toi. (rires) Pour ces faux-jetons, si ça marche, c’est tout bénéfice, si ça foire, c’est de ta faute. Dans les deux cas, ils s’en sortent bien.
- [Harry] Rien de tel pour souder un groupe que l’adversité. C’est bien dans les difficultés –j’évite le mot drame, ça fait mélo- qu’on se serre les coudes. Plus de concurrence, plus de coups tordus, plus de cabales, enfin plus d’envie de bouffer l’autre comme une tribu de cannibales civilisés, c’est-à-dire capables de sauver les apparences, de se faire des salamalecs en public et des crocs-en-jambes en privé.
- [John-Pol] Dis-donc, tu es en pleine forme à ce que je vois. Pourtant, rien de nouveau sous le beau ciel de notre planète bleue. Puisque tu évoques les cannibales, eh bien avec des manières moins nobles, moins policées, ils faisaient à peu près la même chose, se liguant pour écraser l’ennemi puis changeant de partenaires pour en écraser un autre. Ils se bouffaient allègrement les uns les autres sans avoir besoin de se croire obligés de sauver les apparences.
Différence intéressante mais finalement, on n’a pas vraiment progressé.
- [Harry] Si je ne déforme pas trop les méandres de ta pensée, la civilisation serait peuplée de cannibales qui se comporteraient en faux-culs.
- [John-Pol] Ouais, ouais… qui auraient du mal à s’assumer… des cannibales végétariens en quelque sorte.
- [Harry] On aura tout le temps après cette passe d’armes, de reprendre nos vieilles habitudes et les petites guéguerres entre nous, les petites blessures d’amour-propre et les gros profits.
- [John-Pol] Finalement, je sens que, quand tout sera fin, on va regretter cette époque.
- [Harry] Ouais… l’adrénaline… en attendant, on va fêter cette entente improbable.
La fin des moyens - Acte V
Scène unique – Harry et Christy
[Christy entre dans le
bureau de son père, un journal à la main]
- [Harry lève les yeux
de ses documents] Ah… je vois que le journal a circulé…
- Bonjour père, est-ce vrai tout ce que raconte ce journal ?
- Les journalistes ont tendance à se prendre pour des experts en n’importe quoi.
[Elle s’assied en brandissant
son journal]
- Celui-là semble plutôt bien informé. Je passe sur la présentation. Ah, voilà… Écoute plutôt :
« Ce processus de stratégie financière repose sur quatre grandes étapes :
1- D’abord, les banques de crédit cèdent leurs prêts immobiliers à des banques d’investissement ;
2- Ces dernières fabriquent un nouveau produit financier répondant à l’acronyme barbare de CDO, espèce de mayonnaise mélangeant crédits fiables et crédits très douteux,(les crédits toxiques) ce qui fragilisent d’autant ce type de produit.
3- Pour que, malgré tout, ce produit soit attractif, on lui refait un lifting et on le refile à une agence de notation chargée de lui décerner un magnifique AAA, sésame obligé d’une excellente rentabilité.
4- Les investisseurs comme les fonds de pension, peuvent acheter ces titres juteux et garanti les yeux fermés.
La boucle est bouclée et quand le volume des prêts explose, on démarche alors des populations plus pauvres donc moins solvables auxquelles on propose des prêts à taux variable… »
- [Harry] C’est assez schématique, bonne petite vulgarisation pour lecteur pressé. Si la réalité était aussi simple, tout le monde pourrait appliquer la formule et s’enrichir facilement.
- [Christy] Moi, pauvre béotienne, je trouve cet article très intéressant et je découvre, médusée, que des gens puissants ont les moyens de pervertir le système, de le modeler à leurs intérêts.
- [Harry] Ne crois pas tout ce qui est imprimé. Ces gens-là nous en veulent parce qu’on ne les laisse pas « faire leur travail » disent-ils, « on ne joue pas le jeu de la transparence » en refusant d’entrer dans leurs intrigues, en rejetant leurs interviews. Pourtant on leur a donné de la matière depuis le début de la crise, les meilleurs fournisseurs d’infos. Mais ils veulent plus, ils veulent autre chose, le « buzz » c’est leur obsession.
- [Christy] Pourtant, l’article démonte bien le mécanisme qui a abouti à la crise.
- [Harry] Ne t’imagine pas qu’il s’agit là de leur objectif. Il leur faut donner du rêve au lecteur et lui laisser penser que tout est possible, que la finance, la bourse fonctionnent comme un jeu de poker menteur… certains pensent même qu’on doit bien pouvoir gagner au bonneteau…
- En tout cas, le public en redemande… et tout ça, à tes dépens !
- Ça fait partie de la règle du jeu : sous le dithyrambe se profile l’attaque, le croc-en-jambe. Oh… Crois-moi, tout ceci n’est qu’écume de mer et je peux te certifier que cette campagne de presse va bientôt cesser.
[Christy reprenant son
journal]
- Ceci dit, tu n’as pas encore tout vu mon cher père. La une du journal vaut son pesant d’or. Je ne résiste pas au plaisir de t’annoncer que tu es devenu, non pas l’homme à abattre mais « le roi de la fiance », « L’homme de l’année » comme titre le journal. Voilà, j’ai maintenant un père célèbre. Cale-toi dans ton fauteuil et écoute un peu :
« Harry Sachs : l’homme de l’année »
« Après l’émotion suscitée par le "coup de bourse" extraordinaire réalisé par celui que beaucoup considèrent comme "le sorcier de la finance", (voir notre numéro précédent) la question se pose de savoir quels mécanismes, en particulier boursiers, rendent possible une telle réussite, comment un homme peut monter une si extraordinaire opération. »
Si aucun des responsables concernés n’a daigné répondre à nos demandes d’interview, voici les premières données qu’on a pu recueillir pour expliquer cette réussite exceptionnelle. D’après ce que l’on sait, le système mis en place repose sur le développement d’un short, qui consiste à vendre à découvert, autrement dit à parier sur la baisse d’actions qu’on ne possède pas forcément, pour la racheter plus tard. Dans un marché déprimé, il est tentant de jouer sur le cours d’une action en la vendant à la hausse et à la rachetant quand on considère qu’elle a atteint son étiage.
Plus facile à dire qu’à faire dans doute mais ceci ne fait que déstabiliser les échanges boursiers sans apporter quoi que ce soit à l’économie... (voir en page 6 la suite de notre analyse) »
« Après l’émotion suscitée par le "coup de bourse" extraordinaire réalisé par celui que beaucoup considèrent comme "le sorcier de la finance", (voir notre numéro précédent) la question se pose de savoir quels mécanismes, en particulier boursiers, rendent possible une telle réussite, comment un homme peut monter une si extraordinaire opération. »
Si aucun des responsables concernés n’a daigné répondre à nos demandes d’interview, voici les premières données qu’on a pu recueillir pour expliquer cette réussite exceptionnelle. D’après ce que l’on sait, le système mis en place repose sur le développement d’un short, qui consiste à vendre à découvert, autrement dit à parier sur la baisse d’actions qu’on ne possède pas forcément, pour la racheter plus tard. Dans un marché déprimé, il est tentant de jouer sur le cours d’une action en la vendant à la hausse et à la rachetant quand on considère qu’elle a atteint son étiage.
Plus facile à dire qu’à faire dans doute mais ceci ne fait que déstabiliser les échanges boursiers sans apporter quoi que ce soit à l’économie... (voir en page 6 la suite de notre analyse) »
- La suite est du même acabit. Pour qui te connaît, ta biographie est un peu fantaisiste, plutôt gentillette pour ta jeunesse, ensuite ça se gâte quand ils te traitent de trafiquant et de chef du gang des financiers qui mettent la bourse en coupes réglées.
- C’est un compliment.
- Pas pour les auteurs de l’article.
- Si je m’étais planté, on saurait bien en tirer parti. J’entends d’ici les quolibets, je vois d’ici les articles vengeurs, pleins de morgue et d’ironie, leur plume trempée dans le fiel. Perdre, c’est prêter le flan à la risée de tous les jaloux, gagner, c’est être livré à la vindicte de tous les frustrés. Ainsi vont les choses ici et il faut faire avec.
La fin des moyens - Acte VI
Scène 1 – Harry et John-Pol
[John-Pol entre dans le bureau d’Harry, l’ait tout
affolé]
- Que se passe-t-il donc ? Que ton air affolé m’inquiète.
- Heu…
-Ce n’est pas ton genre de perdre tes moyens… Vas-tu parler enfin… Ton silence est plus dur à supporter qu’un aveu difficile…
- Christy a disparu…
[Harry blêmit, restant
sans réactions puis il se lève, saisit son ami par les épaules et se met à le
secouer]
- Que dis-tu… que sais-tu ?
- Elle repartait de chez moi quand, accoudé à la fenêtre pour lui adresser un signe d’au revoir, je l’ai vue sur le trottoir d’en bas, être jetée dans une camionnette par deux types masqués. Quelques secondes et le véhicule a filé à toute vitesse. Tout s’est passé tellement vite que je me suis demandé si je n’avais pas rêvé…
- Mais, d’après tes dires, elle n’a pas disparu, elle a été enlevée… oui, enlevée… tu sais ce que ça signifie ! [Il se prend la tête entre les mains puis au bout d’un moment] Qui est au courant ?
- Personne pour l’instant. Juste après avoir assisté à la scène, J’ai couru jusqu’ici pour t’avertir.
- Personne d’autre n’a pu assister à la scène.
- Non, tu connais la configuration de mon immeuble ; il est très improbable qu’il y ait pu avoir d’autres témoins.
- De sorte que pour l’instant, personne ne sait... Alors, silence sur toute la ligne. On va régler ça à notre façon. De toute façon, que pourrait faire la police ?
- Attention Harry, tu joues avec le feu ; les truands, ce n’est plus Wall Street et c’est de la vie de ta fille qu’il s’agit aujourd’hui. J’admire ton sang-froid, je ne sais pas comment tu fais mais j’ai aussi peur que tu n’en fasses trop.
- Appliquer mon plan jusqu’au bout signifie mettre tout sentiment de côté, faire comme si cette affaire émotionnellement ne me concernait pas.
- Ton regard froid, ta logique glacée me font peur.
La fin des moyens - Acte VI
Scène 2 – Harry et Lehman
[Harry
est chez lui, dans son salon, quand Lehman y fait irruption, Harry a un
mouvement de recul]
- Lehman ! Qu’est-ce que tu
fais là ? Tu viens-tu faire chez moi, y pénétrant comme un voleur…
[Lehman,
l’air mauvais, qui en veut visiblement à Harry]
- Moi, je n’ai rien volé et tu vois Harry, je suis toujours vivant. Un financier déchu ne se suicide plus de nos jours. On n’est plus en 1929, plus de jeudi noir ou pourquoi pas, de vendredi rouge, pas davantage de fatalité et de cycles de Kondrachef.
Non, non, finie cette époque, maintenant il dénonce, il se sert des médias si possible, comme tu t’es si bien servi de moi.
- Mais…
- Ne m’interrompt pas, veux-tu ! Pas de chef ici, tu ne fixes plus tes règles, tu n’en imposes plus par ta superbe. Eh oui, j’ai retenu ta leçon : tout le monde se sert de tout le monde. Rien que de l’utilitaire, on en est revenu à l’homme-objet comme au temps de l’esclavage. En fait, quand on a pris conscience qu’on n’a plus rien à perdre, on retrouve sa liberté. Et au point où j’en suis, Je n’ai plus peur, moi.
[Lehman menace Lehman avec un coureau]
- Et toi, très cher ami, quel effet éprouves-tu de cette peur qui étreint, qui tort le ventre ? (rire grinçant)
- Tu ne ferais pas ça… Tu es devenu complètement fou mon pauvre Lehman !
- Justement, assez fou de douleur pour que la haine remplace la peur.
- Si tu me tues, tu n’auras rien. Alors, que me veux-tu ?
- Rends-moi ma dignité.
- Je ne peux te donner que de l’argent ; et j’en ai beaucoup.
- A combien estimes-tu la vie de ta fille ? Car c‘est bien ainsi que se pose la question.
- Laisse ma fille en-dehors de cette histoire. Qui as-tu entraîné dans ta folie ? Je m’attendais à des truands voulant m’extorquer une rançon, et voilà, je me retrouve face à toi Lehman, en face d’un homme qui m’est devenu autant étrange qu’étranger.
- Rends-moi tout ce que tu m’as volé. Ça t’arrangerait bien n’est-ce pas que, par ta faute, je sois devenu fou, incontrôlable ! Et bien, je vais te décevoir, rien de tel, je me sens parfaitement lucide et j’aimerais d’abord savoir, oui tout savoir des arcanes de tes magouilles.
- Si ça peut t’apaiser, j’y suis tout disposé.
[Harry est disposé à parler pour tenter d’apaiser Lehman qui arbore un sourire satisfait, bras croisés]
- Alors commence par le commencement.
- Écoute, tu sais aussi bien que moi comment ça se passe, comment je m’y suis pris… même si tu en ignores les détails. Je n’ai rien inventé. En gros, il suffit de se rendre maître d’un segment du marché en propageant judicieusement les bruits, les fausses informations qui font monter ou chuter, selon le cas, le cours d’une action, les gens qu’il faut avoir dans sa manche ou acheter, ceux avec qui on va pouvoir s’entendre, s’acoquiner – pardon, trouver des partenaires est une expression plus adéquate ici, oublier le mot "entente" qui renvoie trop au cartel, à l’illicite- et, cerise sur le gâteau, réussir à faire croire qu’on est, comme l’a écrit la presse à mon propos, « le gourou de Wall Street ».
Après ça, on est intouchable. La parole aussi bien que le silence deviennent d’or. C’est aussi ça le marché.
- Moi, je n’ai rien volé et tu vois Harry, je suis toujours vivant. Un financier déchu ne se suicide plus de nos jours. On n’est plus en 1929, plus de jeudi noir ou pourquoi pas, de vendredi rouge, pas davantage de fatalité et de cycles de Kondrachef.
Non, non, finie cette époque, maintenant il dénonce, il se sert des médias si possible, comme tu t’es si bien servi de moi.
- Mais…
- Ne m’interrompt pas, veux-tu ! Pas de chef ici, tu ne fixes plus tes règles, tu n’en imposes plus par ta superbe. Eh oui, j’ai retenu ta leçon : tout le monde se sert de tout le monde. Rien que de l’utilitaire, on en est revenu à l’homme-objet comme au temps de l’esclavage. En fait, quand on a pris conscience qu’on n’a plus rien à perdre, on retrouve sa liberté. Et au point où j’en suis, Je n’ai plus peur, moi.
[Lehman menace Lehman avec un coureau]
- Et toi, très cher ami, quel effet éprouves-tu de cette peur qui étreint, qui tort le ventre ? (rire grinçant)
- Tu ne ferais pas ça… Tu es devenu complètement fou mon pauvre Lehman !
- Justement, assez fou de douleur pour que la haine remplace la peur.
- Si tu me tues, tu n’auras rien. Alors, que me veux-tu ?
- Rends-moi ma dignité.
- Je ne peux te donner que de l’argent ; et j’en ai beaucoup.
- A combien estimes-tu la vie de ta fille ? Car c‘est bien ainsi que se pose la question.
- Laisse ma fille en-dehors de cette histoire. Qui as-tu entraîné dans ta folie ? Je m’attendais à des truands voulant m’extorquer une rançon, et voilà, je me retrouve face à toi Lehman, en face d’un homme qui m’est devenu autant étrange qu’étranger.
- Rends-moi tout ce que tu m’as volé. Ça t’arrangerait bien n’est-ce pas que, par ta faute, je sois devenu fou, incontrôlable ! Et bien, je vais te décevoir, rien de tel, je me sens parfaitement lucide et j’aimerais d’abord savoir, oui tout savoir des arcanes de tes magouilles.
- Si ça peut t’apaiser, j’y suis tout disposé.
[Harry est disposé à parler pour tenter d’apaiser Lehman qui arbore un sourire satisfait, bras croisés]
- Alors commence par le commencement.
- Écoute, tu sais aussi bien que moi comment ça se passe, comment je m’y suis pris… même si tu en ignores les détails. Je n’ai rien inventé. En gros, il suffit de se rendre maître d’un segment du marché en propageant judicieusement les bruits, les fausses informations qui font monter ou chuter, selon le cas, le cours d’une action, les gens qu’il faut avoir dans sa manche ou acheter, ceux avec qui on va pouvoir s’entendre, s’acoquiner – pardon, trouver des partenaires est une expression plus adéquate ici, oublier le mot "entente" qui renvoie trop au cartel, à l’illicite- et, cerise sur le gâteau, réussir à faire croire qu’on est, comme l’a écrit la presse à mon propos, « le gourou de Wall Street ».
Après ça, on est intouchable. La parole aussi bien que le silence deviennent d’or. C’est aussi ça le marché.
- Sur ce chapitre, on peut te faire confiance ? Continue.
Sur les mécanismes globaux, il n’y a
pas grand-chose à ajouter. Il suffit de dominer le marché en le manipulant… et
plus le marché est instable au mieux c’est efficace. Quant aux autorités de
régulation, elles sont largement dépassées par les intérêts en jeu et le jeu
des pouvoirs qui s’affrontent… quant à l’État, il est aux mains des conglomérats
qui font la pluie et le beau temps à Wall Street… confer la loi de libéralisation
qui a permis que se développe l’envolée boursière à l’origine de la crise des
"subprimes".
- Très instructif ce petit condensé des pratiques boursières, passionnant même, et surtout très édifiant. Tu devrais penser à le faire éditer. Pour une première séance, c’était plutôt touffu et je crois que j’en ai assez appris pour le moment – pardon, que NOUS en avons assez appris.
La fin des moyens - Acte VI 40
Scène 3 – Harry, Christy, John-Pol et Lehman
- Très instructif ce petit condensé des pratiques boursières, passionnant même, et surtout très édifiant. Tu devrais penser à le faire éditer. Pour une première séance, c’était plutôt touffu et je crois que j’en ai assez appris pour le moment – pardon, que NOUS en avons assez appris.
La fin des moyens - Acte VI 40
Scène 3 – Harry, Christy, John-Pol et Lehman
[Harry
est stupéfait quand sa fille Christy et John-Pol font irruption dans son salon]
- [Christy] Mon dieu, nous étions là dans la pièce à côté et nous
avons tout entendu. Tout. Dans quel monde vivons-nous ? Dois-je en croire
mes oreilles ? Père, oh mon père, dis-moi que ce n’est pas vrai, que tout ceci
n’est qu’un terrible cauchemar.
- [Harry] C’est incroyable, ma maison est envahie. Je me trouve en face d’une conjuration. Même ma fille, même toi Christy !
- [John-Pol] Oh Harry, tu étais vraiment prêt à verser un milliard à Lehman pour le neutraliser ?
- [Harry] Bel enlèvement en vérité… Ma fille m’a menti, mon ami m’a menti, m’a manipulé… ils se sont ligués avec un type qui dit me haïr… et ils m’accusent d’être le roi des coups tordus. C’est comme on dit, un peu fort de tabac !
- [Lehman] Finalement, tu n’as pas changé, je m’aperçois que, d’aléas en avatars, d’ententes en complots, tu es resté le même, ce que dans mon aveuglement, j’admirais alors m’apparaît maintenant dans toute son horreur. On n’a pas encore apuré le passé.
- [Harry] Où veux-tu encore en venir ? Qu’est-ce que ça signifie ?
- [Lehman] Je vais être contraint de mettre les pieds dans le plat et de rappeler certains épisodes de ta vie passée que je connais bien.
- [Harry] Ah… voilà où tu veux en venir. Vas-y Lehman, balance ton fiel, déterre des cadavres, il en restera toujours quelque chose –et je sais de quoi je parle.
- [Lehman] Moi aussi je sais de quoi je parle, monsieur le donneur de leçons, et je le fais comme témoin, vieux témoin de tes magouilles. Te souviens-tu de la façon dont tu t’es enrichi dans des opérations douteuses où je t’ai d’ailleurs donné un coup de mains, les actions-yoyo dont tu tirais les ficelles… Te souviens-tu quand tu me disais « pour s’enrichir, il faut faire les cours, les dominer, les manipuler au besoin, non le contraire »).
- [Harry] Tu me sers une nouvelle version de « J’accuse », formule facile qui a souvent été copiée et mal copiée.
- [Lehman] Te souviens-tu quand, après une éclipse, tu es revenu transformé, t’appelant désormais Harry Sachs et non plus John Himself, ton véritable nom, t’habillant avec un chic étudié et ayant l’oreille des plus hautes autorités. Changement radical. Mais on ne chasse pas le naturel si facilement et les ententes illicites ont continué, comme celle qui a abouti à la crise des "subprimes", réunissant les plus gros opérateurs de Wall Street qui y font la pluie et le beau temps.
Te souviens-tu aussi de ce pauvre Moody, monsieur Sachs-Himself, la façon dont tu l’as traité, ce nom ne claque-t-il pas à tes oreilles comme une gifle, ne te saisit-il pas les tripes dans un haut-le-cœur acide et des relents rances de remords ?
Êtes-vous éligible au remords, monsieur Sachs-Himself ? » Le passé remonte parfois à la surface comme la vase trouble l’eau pure ou la lie trouble un grand crû. Enlève ton masque, que se dessine enfin ta vraie nature, que ton vrai visage apparaisse enfin en pleine lumière, sous les feux des projecteurs ! (désignant les rampes de la scène)
- [Harry] C’est incroyable, ma maison est envahie. Je me trouve en face d’une conjuration. Même ma fille, même toi Christy !
- [John-Pol] Oh Harry, tu étais vraiment prêt à verser un milliard à Lehman pour le neutraliser ?
- [Harry] Bel enlèvement en vérité… Ma fille m’a menti, mon ami m’a menti, m’a manipulé… ils se sont ligués avec un type qui dit me haïr… et ils m’accusent d’être le roi des coups tordus. C’est comme on dit, un peu fort de tabac !
- [Lehman] Finalement, tu n’as pas changé, je m’aperçois que, d’aléas en avatars, d’ententes en complots, tu es resté le même, ce que dans mon aveuglement, j’admirais alors m’apparaît maintenant dans toute son horreur. On n’a pas encore apuré le passé.
- [Harry] Où veux-tu encore en venir ? Qu’est-ce que ça signifie ?
- [Lehman] Je vais être contraint de mettre les pieds dans le plat et de rappeler certains épisodes de ta vie passée que je connais bien.
- [Harry] Ah… voilà où tu veux en venir. Vas-y Lehman, balance ton fiel, déterre des cadavres, il en restera toujours quelque chose –et je sais de quoi je parle.
- [Lehman] Moi aussi je sais de quoi je parle, monsieur le donneur de leçons, et je le fais comme témoin, vieux témoin de tes magouilles. Te souviens-tu de la façon dont tu t’es enrichi dans des opérations douteuses où je t’ai d’ailleurs donné un coup de mains, les actions-yoyo dont tu tirais les ficelles… Te souviens-tu quand tu me disais « pour s’enrichir, il faut faire les cours, les dominer, les manipuler au besoin, non le contraire »).
- [Harry] Tu me sers une nouvelle version de « J’accuse », formule facile qui a souvent été copiée et mal copiée.
- [Lehman] Te souviens-tu quand, après une éclipse, tu es revenu transformé, t’appelant désormais Harry Sachs et non plus John Himself, ton véritable nom, t’habillant avec un chic étudié et ayant l’oreille des plus hautes autorités. Changement radical. Mais on ne chasse pas le naturel si facilement et les ententes illicites ont continué, comme celle qui a abouti à la crise des "subprimes", réunissant les plus gros opérateurs de Wall Street qui y font la pluie et le beau temps.
Te souviens-tu aussi de ce pauvre Moody, monsieur Sachs-Himself, la façon dont tu l’as traité, ce nom ne claque-t-il pas à tes oreilles comme une gifle, ne te saisit-il pas les tripes dans un haut-le-cœur acide et des relents rances de remords ?
Êtes-vous éligible au remords, monsieur Sachs-Himself ? » Le passé remonte parfois à la surface comme la vase trouble l’eau pure ou la lie trouble un grand crû. Enlève ton masque, que se dessine enfin ta vraie nature, que ton vrai visage apparaisse enfin en pleine lumière, sous les feux des projecteurs ! (désignant les rampes de la scène)
[Christy, portant les mains à ses oreilles]
- Oh, la la, je me bouche les oreilles pour ne plus rien entendre.
[Lehman se fait menaçant, le montrant du doigt]
- Si je crache aussi sur ton fric, n’oublie pas vieille canaille que tout ceci a été enregistré et que, si j’entends aussi peu que ce soit, parler de toi, tout paraîtra dans les journaux. On dit qu’à notre époque, la mort médiatique est la pire de toutes. Toi aussi, tu es mort !
[Brice
Lehman quitte la scène sans quitter Harry des yeux, après lui avoir craché à la
figure]
La fin des moyens - Acte VI
Scène 4 – Harry, Christy et John-Pol
La fin des moyens - Acte VI
Scène 4 – Harry, Christy et John-Pol
[Dans
cette dernière scène, seul Harry s’exprime oralement, Christy et John-Pol
recourent uniquement à l’expression corporelle]
[Christy et John-Pol s’éloignent lentement de quelques pas, s’arrêtent, s’étreignent pendant qu’Harry se reprend un instant puis poursuit sa tirade]
- [Harry, s’essuyant d’un geste délicat avec son mouchoir]
Même si je ne suis pas une blanche colombe, la bave de ce crapaud ne parviendra pas à m’atteindre. Pour qui veut-on me faire passer ici ? Je serais une espèce de créature faustienne ayant passé un pacte avec le Diable pour circonvenir les pauvres brebis de Wall Street, en abuser, les tromper ignominieusement par des détours artificieux. Quelle galéjade ! Pourquoi faire dire des messes sataniques pendant qu’on y est !
Ah… avais-je oublié, « je me
sers des autres » me reproché Lehman mais que celui qui ne l’a jamais fait
me jette la première pierre, et qu’il se regarde bien dans une glace avant
d’accomplir ce geste ! Au début, ça me faisait sourire qu’on m’accole
cette étiquette d’anti héros, image de ce qu’il faut éviter, parangon de la
manœuvre limite, de l’esprit retors, j’en étais même un peu flatté de servir de
bouc-émissaire aux médias qui font l’opinion publique mais on se lasse de tout
n’est-ce pas, surtout de devenir une espèce de repoussoir, « d’ennemi publique n° 1 ».
[Il s’adresse à sa fille qui cache son visage dans les bras de John-Pol]
Je t’aime Christy, je n’ai jamais aimé que toi,
oui que toi, même si je lis maintenant dans ton regard de la méfiance à mon
égard, si tu penses que j’ai fait tout ça pour moi, uniquement pour moi, pour
satisfaire mon ego, pour me faire mousser mais tu te trompes, oui tu te trompes
lourdement. Les sentiments quand ils sont forts, ont tendance à se
démultiplier, à hypertrophier nos réactions –oui, je sais ça, j’ai vécu ce
genre d’expérience, ça t’étonnes n’est-ce pas- et à donner au moindre événement
une place si énorme qu’il devient une bulle pouvant éclater à la moindre
occasion.
- Que croyez-vous donc, je n’ai rien inventé, je n’ai fait qu’utiliser à mes propres fins les possibilités offertes par les transactions financières et boursières, non, je n’ai rien inventé, je ne suis qu’un vecteur qui sait tirer parti des ressources d’un système qui doit bien avoir sa raison d’être puisqu’il a tendance à s’étendre au monde entier.
Je ne crée rien, j’utilise
l’existant, c’est tout. Vous pouvez bien me snober avec vos regards
inquisiteurs de reproche comme si j’avais du sang sur les mains, vous pouvez
bien me punir en m’abandonnant, en me laissant tout seul dans mon immense
villa, je n’ai rien à me reprocher. Que
vous le vouliez ou non, c’est le système qui veut ça, c’est la société qui veut
ça !
Vous en faites partie et vous ne pouvez rien y changer.
Récapitulatif
Vous en faites partie et vous ne pouvez rien y changer.
Récapitulatif
Acte
I s. unique 54 Le
bureau d’Harry – visite de John-Pol
Acte II scène 1 28 82 La fête – Harry, John-Pol, Morgan, Merril
Acte II scène 2 70 152 La fête (suite)
Acte III scène 1 45 197 La crise - Harry et Lehman
Acte III scène 2 34 231 Harry et Christy
Acte IV scène 1 48 279 Harry et ses amis - La cabale
Acte IV scène 2 70 349 Gestion de crise – puis Harry et John-Pol
Acte V sc. unique 58 407 Harry et Christy
Acte VI scène 1 24 431 Harry et John-Pol
Acte VI scène 2 46 477 Harry et Lehman
Acte VI scène 3 40 517 Harry, Lehman, Christy & John-Pol
Acte VI scène 4 26 543 Harry, Lehman, Christy & John-Pol
Total (490)
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Acte II scène 1 28 82 La fête – Harry, John-Pol, Morgan, Merril
Acte II scène 2 70 152 La fête (suite)
Acte III scène 1 45 197 La crise - Harry et Lehman
Acte III scène 2 34 231 Harry et Christy
Acte IV scène 1 48 279 Harry et ses amis - La cabale
Acte IV scène 2 70 349 Gestion de crise – puis Harry et John-Pol
Acte V sc. unique 58 407 Harry et Christy
Acte VI scène 1 24 431 Harry et John-Pol
Acte VI scène 2 46 477 Harry et Lehman
Acte VI scène 3 40 517 Harry, Lehman, Christy & John-Pol
Acte VI scène 4 26 543 Harry, Lehman, Christy & John-Pol
Total (490)
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