Tourner la page
Comme un simple écrit sur la neige
Qui se décline en maints arpèges,
Comme sur le sable une empreinte
Qui se dilue, semble hors d’atteinte,
Tout, un jour ou l’autre, s’efface
Sans rémission, quoi qu’on fasse.
Une page ainsi se tourne, tourne, tourne,
Vole, vole au vent belle page
Qui m’entraîne, je n’ai plus d’âge,
Et ma tête alors tourne, tourne,
Tournoie comme une feuille morte,
Qui, dans un ciel sans nuage, monte, monte…
Laissez-moi donc mes souvenirs,
Laissez-moi à mes las soupirs,
Ils ne sont que mélancolie
Face aux liens qui nous ont unis
Puis peu à peu se sont défaits,
Quelque sentiment que j’en ai.
Je me sens si peu de chose, vraiment si peu,
Dusse me peser cet aveu
je me sens indigne, sans âme,
Si impuissant devant ce drame
Qui fut pour moi si douloureux
Mais qui peut paraître si peu, vraiment si peu…
Aussi loin que je m’y hasarde,
Sans que j’y prenne vraiment garde
J’ai cru que la maison, ce toit,
Tout ça faisait partie de moi
Mais non, le temps défait les vies
Et l’on s’éloigne, on se renie.
L’esprit se met à rêver et il plane, plane
Mais tout se dissout et se fane,
Rien ne peut arrêter le vent
Et rien ne sera comme avant.
Comment alors vraiment admettre,
Continuer à paraître, être, être.
On ne revient pas en arrière,
Si j’y consens, je vois mon père,
Son œil exercé de maçon
Qui jamais ne fit la leçon,
J’y vois le passé qui me presse,
Révélateur de mes faiblesses.
Alors peu à peu, les choses se font, font, font
Puis un jour se défont, font, font,
Petit à petit avec l’âge,
Ainsi se tourne chaque page,
Palimpseste d’une mémoire
Qui conservait tant d’histoires, ô tant d’histoires.
Autant de pages à arracher
Pour oublier, n’y plus penser
Puisqu’il faut vivre, malgré tout
Et continuer jusqu’au bout.
Une maison possède une âme
Et c’est bien là tout mon drame.
Objets inanimés, vous me manquez, manquez…
Pas simplement pour posséder,
Pour ce que vous représentez,
Des moments rares à conserver
Quand alors je revois la scène
Et que je mesure toute ma peine, peine.
Épanche-toi donc, cœur de pierre
Pas de quoi faire le fier,
Parfois une larme m’échappe
Ainsi, sans que je la rattrape,
Coule, coule perfide larme,
J’ai enfin épuisé ton charme,
Le temps va bien te sécher,
Tout sera alors terminé.
C’était naguère ou bien peut-être avant-hier,
Je revois encore mon père
Rêvant, assis sur le banc vert
Qu’il remisait pendant l’hiver,
Ah, réminiscences éphémères,
C’était naguère ou simplement avant-hier.
Pourquoi être attachés aux choses
Malgré le chagrin qu’elles nous causent
En sachant, le cœur déchiré,
Qu’il faudra bien s’en séparer,
Gommer ce qu’elles nous rappellent,
Et tous les regrets qu’elles entraînent ?
Oui simplement, je le revois mon père, père,
Concentré, prenant ses repères,
Redressant les murs patiemment,
Gâchant, Maçonnant, crépissant,
Préservant sa part de mystère,
Oh, je le revois encore mon père, père.
De cette maison tant aimée,
De ces murs qui m’ont protégé,
Je m’en croyais propriétaire,
Je n’étais que dépositaire,
Sans savoir veiller au grain,
Je n’ai pu passer le témoin.
Ainsi, maintenant tout est joué, bien joué,
J’ai signé, les dés sont jetés,
On croit choisir en êtres libres,
Rester maîtres de ses désirs
Mais non, la vie choisit pour nous
Toujours, envers et contre tout,
J’ai cédé, j’ai donné les clés,
Ainsi, maintenant tout est joué, bien joué.
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