Marie-Noël et le sapin
Dans le charmant salon de la maison, le large sapin de Noël
mangeait tout un angle. Ses larges rameaux, filtrés par la lumière,
s’étalaient comme une pieuvre lançant dans la pièce des reflets
inquiétants. Malgré ses nombreux lumignons, ses boules multicolores,
l’arbre projetait des ombres envahissantes dans toutes les directions,
léchant les murs pour mieux se perdre sous les meubles. Face au sapin,
la cheminée ronronnait, pétant, craquant quand le bois se délitait sous
l'effet de la chaleur.
Marie-Noël
déboula dans la pièce en sautant d’une jambe sur l’autre comme elle le
faisait souvent quand elle se sentait heureuse, insouciante.
Elle admirait, rêveuse, les belles boules décorées de motifs
multicolores qui pendaient aux branches, tamisant la douce lumière de la
pièce, respirant l’odeur entêtante de résineux qui se dégageait de
l'arbre.
Sa mère lui avait confectionné une robe de Noël aussi resplendissante que le sapin, pleine de motifs et de couleurs. Elle en était ravie, se mirait dans la grande glace en tournoyant sur elle-même et fredonnant l’une de ces chansons à la mode, au refrain simple et entraînant.
Et
soudain, les ombres fuligineuses projetèrent contre le grand mur une
image inquiétante qui imprima sa rétine une fraction de seconde mais lui
laissa une impression durable qu’elle ne pouvait se retirer de
l’esprit.
Tétanisée par l'espèce de spectre qu’elle avait entrevu, elle se tint
droite et hiératique, sans réactions, pendant quelques secondes qui lui
parurent interminables. Puis elle se jeta dans la salle à manger pleine
de bruit et de lumière.
- Maman, maman, hurla-t-elle effrayée, j’ai vu une forme humaine vers le mur du fond, une forme qui dansait dans les flammes de la cheminée et venait vers moi.
Sa mère, la prit dans ses bras et la rassura comme elle put.
-
Allons, allons ma fille, ton esprit fantasque t’aura encore joué des
tours, t’aura impressionné au-delà du raisonnable. Tu devrais aller
jouer dans ta chambre et penser à autre chose. Puis elle reprit sa
conversation avec ses amis.
Mais pout étancher sa curiosité, Marie-Noël
retourna un peu plus tard au salon, jouer avec les santons qui
entouraient le sapin et se mirer dans la glace en prenant des poses.
Soudain, la cheminée lança des flammes mordorées, des flammes démesurées
qui léchèrent l'âtre et projetèrent contre le grand mur l'image
déformée du Père Noël. Oui, vous avez bien entendu, du Père Noël en personne ! « Ah, vous ne me croyez pas, adultes incrédules qui doutez que la magie ne puisse s'opérer un soir de Noël. Tant pis pour vous », songea-t-elle.
Elle n'en revenait pas. C'était bien lui, elle en était sûre ! Le Père Noël la connaissait donc et lui avait fait l'insigne honneur de venir la voir, ne fut-ce que quelques instants. Elle se voyait déjà conter la scène à ses amies, devant leur regard admiratif et envieux. Elle voulut encore le contempler mais l'image fugace avait déjà disparu.
Sans plus réfléchir, elle se rua dans la salle à manger et se jeta de nouveau dans les bras de sa mère, toute excitée.
- Maman, maman, j'ai vu le Père Noël, oui comme je te vois, le Père Noël
en personne ! Tu te rends compte... ah quel bonheur ! Je l'ai bien
reconnu avec sa longue barbe blanche, son habit rouge et sa bonne
bouille toute ronde.
Sa mère n'osa pas la détromper, surtout un soir
comme celui-ci. En la berçant, elle tenta de modérer son enthousiasme
mais rien n'y fit, Marie-Noël n'en démordait pas.
-
Tu te rends compte, il est venu rien que pour moi... Oh la la, mes
amies vont faire une de ces têtes quand je vais leur raconter. Elles
vont en être toutes jalouses qu'il m'ait choisie !
- Oui, oui, mais... n'en rajoute quand même pas trop, soupira la mère qui connaissait bien sa fille.
Mais elle n'eut pas le cœur de tempérer son bonheur.
Le lendemain, Marie-Noël ne tenait pas en place, tournant autour de sa mère qui se doutait bien que Marie-Noël
voulait revenir sur le sujet. Elle voyait encore les regards entendus
et les sourires retenus des invités, cette incrédulité des adultes qui
l'avait mortifiée. Décidément, les adultes n'ont aucune imagination.
Elle soupira et, arrêtant sa lecture, l’appela auprès d’elle.
- Alors ma fille, lui dit-elle, tu me sembles un peu préoccupée. Qu’est-ce donc qui te tourne ainsi dans la tête ?
Question de pure forme, connaissant fort bien la réponse.
Marie-Noël ne savait pas trop comment aborder la question. Elle finit par se jeter à l’eau.
- Ben… l'autre jour pendant la récréation, une maîtresse a demandé à sa collègue combien d’élèves croyaient encore au Père Noël dans sa classe. Tu ne trouves pas ça bizarre, toi ?
Trouble de la mère qui rougit de confusion.
- Heu… peut-être… peut-être as-tu mal saisi la teneur de ses propos ou simplement mal compris.
- Ah non, je suis sûre de ce que j’ai entendu. D’ailleurs tu me dis
souvent que j’ai toujours une oreille qui traîne, que j’entends tout ce
qu’il ne faut pas… Alors…
La mère, toujours aussi gênée, tenta de trouver un biais.
- Peut-être n’était-ce qu’une blague pour se moquer ou pour embêter les curieuses de ton genre.
Marie-Noël haussa les épaules, sceptique.
- Apparemment, les maîtresses n’ont pas l’air de croire beaucoup au Père Noël.
- Ah, cesse donc de généraliser. Croire peut prendre différentes formes.
Maman était contente. Elle avait trouvé une belle formule dont elle n’était pas certaine elle-même de bien comprendre le sens.
- Mais toi, tu y crois n’est-ce pas au Père Noël ?
Ah, c’est pour ça que l’autre jour, je t’ai entendu demander à Papa
s’il t’aimait toujours. Et immédiatement, il t’a répondu : « mais bien
sûr que je t’aime ma chérie… » En amour, le Père Noël, c’est papa ! Ben alors, en voilà une nouvelle ! Je n’y avais pas pensé.
La mère non plus apparemment. Mais enfin, ça l’arrangeait plutôt. Continuant sur sa lancée, Marie-Noël enchaîna.
-
C’est pareil pour grand-père qui va parfois faire son loto et gratte
des tas de tickets, même s’il gagne rarement, des « cacahuètes » dit
mémé d’un air entendu. Lui aussi croit au Père Noël au moins une fois par semaine quand il va jouer.
- Ah, ma fille, si je te suis bien, à sa façon chacun a son Père Noël.
Sans écouter sa mère, elle poursuivit.
- Et voilà, j'ai tout compris : Tu as foi en l’amour, papa en l’avenir m’a-t-il dit, pépé croit à la Française des jeux et mémé pense depuis cinquante ans que pépé va arrêter de fumer. En fait, on est une famille qui croit dur comme fer au Père Noël !
- Une famille de croyants. Contre vents et marées, conclut sa mère en souriant.
Un cadeau dans le sapin
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<<< Christian Broussas •Père Noël II . © CJB ° 05/12/2022 • >>>
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