mercredi 25 janvier 2023

Maya, Nanou et la rivière

Maya, Nanou et la rivière

     

Il était une fois deux villages séparés par une rivière fort calme en été mais parfois fort tumultueuse l'hiver venu. Les gens de ces deux villages ayant des mœurs fort différentes, ne se fréquentaient guère, vaquant à leurs occupations sans s'occuper des autres, ne s'intéressant ni à leurs fêtes ni à leurs difficultés, selon l'adage bien connu « chacun chez soi et les moutons seront bien gardés. »

Bien qu'il n'y eût ici aucun mouton, chacun restait effectivement chez lui, c'est-à-dire du côté de sa rive, avec sa communauté. La rive gauche ignorait la rive droite et réciproquement, comme si le bras gauche ignorait le bras droit, que chacun faisait ce qu'il voulait sans se préoccuper de l'autre.

Ils franchissaient rarement le petit pont de bois qui reliait leur village et quand, un soir d'orage particulièrement violent, il fut emporté par un courant furieux, ils renoncèrent à le reconstruire. Ils étaient paraît-il trop pauvres pour en édifier un nouveau mais en réalité comme ils s'en servaient très rarement, son absence leur importait peu. Certains étaient même plutôt contents de ce dénouement. Par contre, beaucoup s'empressèrent de récupérer le bois pour le laisser sécher le faire brûler dans leur cheminée. Ceci donna même lieu à des disputes pour la répartition du bois entre les familles. Des querelles qui alimentèrent les discussions et durèrent pendant des mois avant que les relations s'apaisent quelque peu.

Cette situation se perdait dans "la nuit des temps" comme on disait. Elle datait d'une époque où la rivière servait de frontière entre deux pays, l'un des villages étant terre de royaume et l'autre terre d'empire. Ils avaient ainsi suivi des cours différents, connu des coutumes différentes et pendant longtemps, ne parlèrent pas la même langue. Les deux états avaient même fait construire des ouvrages défensifs dont encore de nos jours on peut voir les quelques ruines qui subsistent. C'est dire la méfiance qui persistait entre les deux communautés, même si elle n'était maintenant plus guère visible. 

Seules deux petites filles Nanou et Maya furent catastrophées par la tempête vorace qui avait englouti le pont parce que désormais, elles ne pourraient plus se rencontrer. Même si elles se voyaient très rarement, et en cachette pour éviter tout problème avec les adultes, ces rencontres furtives leur manquèrent terriblement. Elles ne pouvaient plus ni bavarder ni jouer et devinrent tristes, s'intéressant moins aux autres, négligeant leurs devoirs.

Les deux jeunes filles étaient maintenant obligées de communiquer par-dessus la rivière, ce qui se révéla très malaisé.
- Hou, hou s’écria Nanou, est-ce que tu m'entends ?

Sa petite voix ne portait pas loin et l’eau de la rivière cognant contre les cailloux couvrait largement sa voix. Maya tenta bien de comprendre ce que Nanou s’égosillait à lui dire, mais rien n’y fit, elle ne parvenait pas à comprendre son message.
Maya, en face d’elle sur la rive opposée était désespérée de ne pouvoir saisir ce que lui disait son amie.

- Comment vas-tu ? Moi, je suis si triste qu'on ne puisse plus être ensemble !
En désespoir de cause, elles se faisaient de grands gestes pour se dire bonjour ou échanger quelques mots, elles s'envoyaient maints baisers avant de se quitter. Peu à peu, elles mirent au point une gestuelle qui leur permit de rester malgré tout en relations.

- Et si on apprenait la langue des signes, hurla Nanou sur l’autre rive, à son amie, en l'accompagnant de grands gestes ?
Mais Maya ne comprit pas le message qui se perdit dans les nues.

Nanou remâchait son amertume, cherchant désespérément une solution. Comme elle était rarement à court d’idées, elle pensa que contacter Blanche Neige serait une excellente idée.
- Oh, ma chère Blanche Neige, aide-moi je t’en prie. Je voudrais construire un pont solide qui résiste aux intempéries et aux crues de la rivière pour aller voir mon amie Maya. Nous sommes si tristes de ne pouvoir discuter et nous serrer dans les bras ! J’ai pensé que les sept nains pourraient nous y aider avec les villageois qui voudraient bien participer à ce projet.

Blanche-Neige fut emballée par la proposition, en parla séance tenante aux sept nains qui s’empressèrent de donner leur accord tant l'idée leur parut prometteuse.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Document utilisé pour la rédaction de l’article~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Ainsi fut fait. Les sept nains et les quelques villageois volontaires attendirent l’étiage de la rivière pour commencer les travaux.
- "Oh hisse, oh hisse" chantaient à tue-tête les nains en portant des madriers et en roulant de la montagne proche de gros blocs de pierre. Mais ils étaient bien seuls à faire ce travail harassant et leurs forces déclinaient de jour en jour.

La fin de l'année approchant, Nanou et Maya rédigèrent soigneusement leur lettre au Père Noël en lui demandant la même chose : « Oh Père Noël, je t'en supplie, apporte-moi un beau pont bien solide pour que je puisse enfin retourner voir mon amie. Je suis si malheureuse depuis que le dernier pont a été emporté par le courant déchaîné de la rivière. »

Le Père Noël n'en revenait pas : les deux lettres étaient exactement les mêmes alors que les deux fillettes n'avaient pas pu se concerter. Mais qu'y pouvait-il ? Hisser un pont sur son traîneau était impossible. Il en fut triste toute la journée mais Noël approchant, il avait d'autres soucis en tête.

Sur le chantier, les choses empiraient. La bonne humeur des nains et leurs chansons n’y firent rien. Ils s’éreintaient à pousser ces énormes blocs pour réaliser une espèce de gué qui, espéraient-ils seraient assez solidement amarré au lit de la rivière pour résister aux puissants flots d’hiver. La masse était lourde pour arracher le granit à la montagne, le chemin était long pour descendre les blocs jusqu’à la rivière, son lit était profond pour le remplir de pierres.

Ils firent ce qu’ils purent mais un peu avant Noël, une crue encore plus violente que d'habitude déplaça maints blocs de pierre, disloquant l'ouvrage si péniblement réalisé, avant même qu'il soit terminé. Dans les deux villages, ce fut la consternation. Les habitants commençaient à constater les conséquences de l'absence de pont : les trajets s'allongeaient, les marchands se faisaient rares et les touristes désertaient les lieux.

Noël menaçait d’être bien triste cette année-là et les vœux de n’être que de vains espoirs. Face aux eaux grondantes, Maya adressait de grands gestes à son amie pour lui dire qu’il ne faut jamais désespérer mais le cœur n’y était plus et une saute de vent aurait pu porter sur l’autre rive ses lourds soupirs de tristesse. Nanou n'avait plus goût à rien, faisant les choses machinalement, sans entrain.
- On a beau me seriner que là « où il y une volonté, il y a un chemin » je ne vois qu'un chemin très long et chargé d'embûches.
- Ne perdez pas espoir, leur dit Blanche Neige, « à chaque jour suffit sa peine » dit-on, avec de la volonté, de la persévérance -et de l'aide- tout devient possible.

Pour célébrer le retour des beaux jours, ils organisèrent d'abord une grande fête, y invitèrent tous les habitants des deux villages qui firent ainsi plus ample connaissance et se découvrirent bien des affinités. Puis les travaux reprirent mais un été pourri retarda encore le chantier. 

Ce fut alors qu'un véritable miracle se produisit. Le Père Noël qui n'avait pas oublié les lettres de Nanou et de Maya, envoya un message à tous les habitants, leur disant : « Je vous promets que le pont sera mon cadeau de Noël.Aidez-moi à vous aider et ensemble on y parviendra. »

Des artisans des deux villages, conscients de la dégradation de la situation, proposèrent leurs services à Blanche-Neige pour mettre en place de nouvelles pratiques. Il y avait là des scieurs, des ébardeurs pour descendre avec leurs chevaux les troncs d'épicéas, des charpentiers pour bâtir l'ossature du pont, des forgerons, des charrons et des chaudronniers pour usiner des pièces métalliques, des bras mobiles reliant les pièces de bois. Au fil des jours, de plus en plus d'habitants vinrent renforcer les équipes que Blanche Neige avait constituées. 

Ainsi fut fait. Les sept nains retrouvèrent leur entrain, chantant à tue-tête, clouant, soudant... Ils apprirent à protéger les piles du pont avec des brisants solidement enrochés. Les résultats ne se firent pas attendre et en  quelques semaines, un pont flambant neuf émergea des flots en reliant enfin les deux rives.

Aux environs de Noël, l'inauguration fut une fête exceptionnelle. Tout le monde chanta et dansa jusque tard dans la nuit au son des fanfares des deux villages qui s'étaient réunies. Vers minuit, ils virent les rambardes du pont s'illuminer de mille feux multicolores, des étoiles éclairaient la nuit d'un éclat de feu d'artifice et chacun poussa des "Oh" d'admiration devant ce spectacle féérique.

C'était le Père Noël qui passait avec son traîneau en lançant dans la nuit un splendide son et lumières illuminant le regard de deux petites filles qui s'étreignirent sur le pont en pleurant de joie.
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<<< Christian Broussas • Nono et Maya . © CJB  ° 25/12/2022   >>>
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