mardi 31 mars 2015

Front national : discours et réalité


Le discours frontiste classique seriné par Jean-Marie Le Pen depuis les années soixante et depuis,  repeint en bleu marine, est beaucoup plus subtil et demande, au-delà des apparences et des techniques dialectiques utilisées, pour apparaître sous ses véritables traits, un travail de décryptage. La technique du Front national consiste d’abord à récupérer certains mots-clés reconnus comme positifs par le public, pour se les approprier et du même coup, passer pour un parti « présentable ».


Le thème de laïcité, historiquement considéré comme « de gauche », est utilisé contre les populations d’origine immigrée, investissant tous les domaines sauf la sphère privée qui serait le seul où la religion aurait droit de cité. Donc,  plus aucun signe religieux dans l’espace public quel qu’il soit, plus de dérogations dans l’école, à l’hôpital ou bien sûr dans la rue.

Le pseudo complot dont se plaint le Front national n’est plus dirigé, comme du temps du père, par « la franc-maçonnerie ou l’internationale juive » mais une nébuleuse qu’elle nomme par exemple « le système UMPS » ou « le système mondialiste », dirigée par des organismes européens ou internationaux que le public a souvent du mal à bien identifier comme La Banque européenne, le Fond monétaire international ou l’Union européenne sa cible privilégiée.

La notion de « peuple » qui revient souvent dans son discours, est très ambigu, aussi bien dans sa définition que dans son contenu. Cette confusion, entretenue à dessein, lui permet des mélanges arbitraires : le peuple considéré comme symbole de la légitimité démocratique, de la majorité silencieuse et des « français de souche ». Peuple devient ainsi synonyme de « vrai français » capable de remonter jusqu’à ses ancêtres les gaulois comme les « vrais nobles » doivent justifier de quartiers de noblesse avérés pour être reconnus comme tels.

Le terme « République » dont les frontistes se gargarisent, fait référence à une république indéfinie –qui ne peut être la Vème république puisque son programme actuel suppose pas moins de onze révisions constitutionnelles- repose sur la notion de « priorité nationale » qui n’a pas vraiment de contenu mais dont on voit bien ce qu’il signifie et qu’il s’oppose de facto aux règles européennes. Il s'agit plutôt d'un discours incantatoire sans rapport direct avec la réalité, destiné par sa répétition à ancrer des slogans dans l'imaginaire collectif de ce "fameux" peuple dont le Front national se gargarise. 

Reste le thème de l’immigration qui reste le fond de commerce du Front national et dont on se souvient du slogan sans nuances « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ». Raisonnement économique aberrant mais qui a l’intérêt de susciter la peur, de faire croire que les étrangers viennent « manger le pain des Français », et l’on sait ce que représente le pain dans l’imaginaire collectif des Français. Pour le grand public et les médias, Marine le Pen parle de « politique dissuasive » et mélange volontiers immigration légale et clandestine. Reste à savoir comment dissuader l'immigration clandestine d'espérer de meilleures conditions de vie en prenant le risque de quitter leur pays d'origine.

Par contre, dans ses meetings et devant les militants, elle évoque le thème plus xénophobe de « grand remplacement » et de nouveau manie la peur, parlant plus volontiers de « submersion démographique, » image qui évoque un raz-de-marée noyant le dernier carré des "français de souche". Pour renforcer le sentiment de peur, elle nous promet un avenir compromis par  la recrudescence des conflits ethniques et des émeutes dans les banlieues. Les associations de mots sont à cet égard significatives, « immigration » résonnant très souvent avec des termes associés comme « massive », « danger », « problème », « insécurité » et « chômage ». [1]

Revenons sur cette « priorité nationale », autre thème majeur avec l’immigration, des frontistes. Marine Le Pen assurait récemment dans un meeting dans l’Yonne, que c’est ce que son père appelait la « préférence nationale » [2] et qu’elle représentait la « seule discrimination légale et morale, » la loi ne faisant d‘ailleurs pas forcément bon ménage avec la morale. 

Derrière ce jargon, se cache le fait de trouver un moyen pour avantager les Français aux dépens des étrangers, ce qui devient compliqué avec les textes aussi bien français qu’européens. Il s'agirait en fait d'une rupture avec les principes et les pratiques juridiques françaises.
Là encore, Marine Le Pen prend des gants : les Français deviendraient prioritaires pour le logement « à situation égale » pour le logement et à « compétences égales » pour l’emploi. Recourir à des expressions aussi ambiguës, c’est prendre le risque de multiplier les litiges. (Front National, projet pour 2012)

Quant aux allocations familiales, elles seraient réservées « aux familles dont un parent au moins est Français ou Européen ». Toujours selon Marine Le Pen, cette différence de traitement devrait s’appuyer sur « l'appartenance ou la non-appartenance à la nationalité » fondée sur « la seule discrimination légale et morale », concept de base dans le jargon frontiste. On peut discourir à l'infini sur la morale en matière politique, mais on peut en revanche se demander comment dépasser cette contradiction dans les termes mêmes entre ce qui est "légal" et cette "discrimination" qui dans son principe même est illégale.
Même en admettant qu’un référendum puisse régler la question sur le plan français, on ne voit pas comment cette contorsion  juridique pourrait passer le barrage européen. 

Mais il est vrai que le Front national préconise aussi de se retirer de l’Union européenne, d’en revenir aux bonnes frontières et au bon vieux franc. C’est bien ce qu’on appelle une véritable politique réactionnaire, c’est-à-dire orientée vers le retour au passé.  

Notes et références
[1] Voir
"Marine Le Pen prise aux mots", de Cécile Alduy, professeur de littérature française à l’université de Stanford et Stéphane Wahnich, professeur en communication politique à Paris-Est-Créteil.
[2] Ce changement de vocable serait dû selon Marine Le Pen au fait que le premier concept avait été « dénaturé, volontairement ou involontairement » en une « préférence ethnique, raciale ou religieuse » par ses adversaires politiques et les médias.

<<< • • Christian Broussas • FN • °° © CJB  °° • • mars 2015 >>>

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