vendredi 23 novembre 2018

Histoires de femmes 2

 

Chez l'épicière

Comme souvent, nous faisions quelques courses avec Anaïs dans la supérette du quartier. Arrivés à la caisse, madame Poissonnard la patronne s'extasie : « oh mais je ne savais pas qu’Anaïs était enceinte ! Ah, félicitations, au futur papa, je pense. »
Là, elle ne se mouillait pas trop, me voyant souvent dans le magasin en compagnie d’Anaïs. Mais on ne sait jamais, n’est-ce pas ?

Je lui répondis un rien ironique : « Vous savez; à vrai dire, je ne sais pas trop comment ça s’est produit, un faux mouvement sans doute. Je suis assez maladroit. »
Un blanc suivit ma répartie. Plutôt amusée, la patronne ne savait que dire tandis que les autres clients derrière nous piquaient un bon fou rire. Quant à Anaïs, comme elle se tenait derrière moi, je ne voyais pas la tête qu’elle faisait… mais je me doutais bien de sa réaction. Elle qui n’aimait pas se mettre en avant, avec moi, elle était servie.

- Quand même, me dit-elle, une fois revenue à la maison, tu exagères, tu as plutôt mis madame Poissonnard mal à l’aise, même si elle a paru en sourire.

Un peu plus tard, quelque temps après l’accouchement, nous revoilà dans le magasin, madame Poissonnard m’apostrophe aussitôt : « Ah, Monsieur le maladroit est de retour… et on voit le résultat ! » se penchant derechef sur le berceau avec le sourire angevin de qui vient de découvrir une des sept merveilles du monde.

- Que voulez-vous chère madame, quand on casse un vase on peut le recoller mais moi, je n’avais pas de colle pour réparer les dégâts, et Anaïs n’aurait pas voulu d’ailleurs… Ah, c’est bien mon cauchemar cette maladresse congénitale qui me poursuit ainsi… Anaïs me le disait encore ce matin, "Mais qu’est-ce que tu peux faire comme faux mouvements !" »

Nouvelle rigolade des quelques personnes présentes dans la boutique.

       

Anaïs avait beau me pousser du coude, je tenais à pousser mon avantage.
- Ah, la la, n’en croyez rien, s’exclama-t-elle, ne l’écoutez pas celui-là, il dit n’importe quoi ! Quel culot ! Il ne fut pas le prendre au sérieux.
- Pas du tout, je ne fais que devancer tes désirs, dis-je en me retournant vers Anaïs. N’est-ce pas le désir secret des dames ?
C’était parti sur cette question éminemment philosophique. Et là, je suis très doué pour relancer la discussion.

- On connaît les hommes, dit madame Poissonnard à Anaïs, d’un air entendu.
- Oh, oh, tous les hommes, vraiment, vous connaissez tous les hommes… Dites-moi donc, non que je sois d'une curiosité maladive, loin de là, mais entre nous bien sûr, vous en avez connus tant que ça ? Ah, ah, vous rougissez, oui, oui, comme dit le proverbe, "une hirondelle ne fait pas le printemps" et sans vous offenser chère madame,  quelques individus, même triés sur le volet, ne font pas une statistique.

- Ne l’écoutez pas, dit Anaïs, impatiente de rentrer à la maison et gênée par ma question, avec lui vous n’aurez jamais le dernier mot, il trouvera toujours le moyen de vous  entourlouper avec son bagou.
- Ah, répondit madame Poissonnard bien décidée à profiter de la complicité d'Anaïs, c'est à son ramage que vous avez succombé.

- Ciel, je suis dévoilé, percé à jour, m’exclamais-je en me prenant la tête entre les mains. En réalité, murmurais-je à madame Poissonnard, Anaïs est très timide mais je puis vous confier qu’elle est très joueuse….

- Allez, laisse donc travailler madame Poissonnard, avec tes bêtises elle délaisse ses autres clientes.
Et elle me tira vigoureusement par la manche.

          

Tous les mêmes !

La dame un peu collet montée sans doute ne goûtait guère les blagues un peu lestes d’un jeune homme qui en rajoutait un peu, faisant des hommes des Don Juan.

- Oh vous savez, tous les hommes sont des cochons !
- Tous… dites-vous,! Répliqua-t-il pour la relancer et mieux la prendre au piège.
- Je vous le confirmer, les hommes sont tous les mêmes !
- C’est votre conclusion sans appel et donc vous les avez tous testés. Ah, toutes les félicitations. Quelle santé vous avez. Vous cachez bien votre jeu… Quelle famille !
Et sans lui donner le temps de répondre…
 - Comme ça, vous êtes allée même jusqu’en Alaska et vous avez dragué dans toute l’Afrique ! Justement à ce propos, j’ai une question qui me brûle les lèvres : qu’en est-il des Sénégalais, sont –ils aussi bien équipés qu’on le dit ?
La dame se contentait de hausser les épaules et de snober le fâcheux. Mais lui n’en continuait pas moins à pousser son avantage.
- Ben voilà, on n’en saura pas plus, on sera encore frustrés. En tout cas, vous cachez bien votre jeu, jamais, à tout jamais je me serais douté… Ah, jeu des apparences, quand tu nous tiens !

Et il laissa le silence s’installer pour bien marquer son avantage et la mettre encore un peu plus mal à l’aise. Devant le regard amusé des autres, avec un sourire 
- Ah, finit-elle par répondre, vous prenez tout au pied de la lettre… ou vous êtes d’une mauvaise foi affligeante…
Hum… J’aime les compliments… surtout venant de vous. Je voudrais à mon tour vous présenter tous mes compliments pour votre performance. Quelle santé chère madame !

Et c’est là qu’elle décida d’attaquer.
- Vous savez, les hommes c’est comme une lessive, ils sont tous mus par les mêmes principes actifs. Une fois que vous avez trouvé celui qui lave plus blanc, tous ceux que vous pourrez essayer ensuite ne seront que de pâles doublures.
Et les sourires amusés changèrent de camp.

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Je suis une femme !

(Elle) - Je te l’avais bien dit que ça devait arriver, de te méfier de ce type. Depuis le début, j’avais l’intuition qu’il n’était pas fiable, que tu ne devais pas lui faire confiance.
(Lui) - L’intuition, l’intuition… Tu en as de bonnes. Et d’abord, d’où diable tiens-tu cette fameuse intuition ?
(Elle, l’air mutin , le toisant) - Je suis une femme…
(Lui, soudain  sarcastique, la regardant drôlement) – Je m’en doutais…
(Elle, surprise, désarçonnée) – Comment ça, tu t’en doutais !
(Il lui tourne autour) – Tes atours sont tes atouts ma chère… et selon toutes les apparences, tu es une femme et même une très belle femme si je peux me permettre…
- Comment ça, "selon toutes les apparences" !
Ah, effectivement, les apparences sont parfois trompeuses, on voit passer une  femme superbe (qu’on contemple en esthète bien sûr), mais ce n’est peut-être qu’un travelo en chasse… À qui se fier… Oh, terribles apparences…
(Elle, lui tournant autour, l’air aguicheur) - Et moi, quand tu me regardes…
(Lui, la regardant, l’air dubitatif) – Ah, tu es bien une femme… oui (elle lui sourit, ravie), oui mais à 99% sans doute, ce qui est un score fort honorable.
- Voilà qu’il me note à présent ce goujat, qu’il me tourne autour comme si j’étais un animal de foire (en aparté : Ah, quelle humiliation)
(Lui, l’air dégagé) - Je ne voudrais pas jouer les mufles ni passer pour un rabat-joie, mais comme disait Alfred de Musset « il ne faut jurer de rien ».
- Oh, je ne resterai pas plus longtemps pour écouter des insanités, des horreurs sur mon compte !
(Il la regarde longuement) - Pourquoi te maquilles-tu, un peu de rouge par ci, un peu de noir pas là… et le coiffeur, et une robe neuve… la panoplie des sept péchés capiteux. Hein, pourquoi à ton avis ?
(Elle, outrée) - Quelle question ! Mais pour être belle tout simplement.

- Bien sûr, comment n’y ai-je pas pensé ! Pas du tout et tu sais fort bien pourquoi. C’est uniquement pour sauver les apparences, c’est uniquement pour ça que tu perds au moins trois quart d’heure chaque matin à te pomponner.
- Oh, trois quart d’heure, tu exagères ; les hommes exagères toujours… à peine une petite demi heure, et encore…
- Bon, passons sur les attentes interminables devant une salle de bain squattée sans vergogne…
- Qu’en sais-tu donc ?
- Justement, justement, le maquillage n’est finalement qu’un indice… mais revenons à mon propos selon lequel il ne faut jamais se fier aux apparences ? Ma chère, connais-tu la blague de Caro, la fille au tableau ?
Absolument pas. Quelle manie ont les hommes de raconter des blagues qui sont d’ailleurs pour la plupart sans intérêt et ne font rire qu’eux.
- C’est toujours ça de pris comme on dit. Mais celle-ci est une belle métaphore de mon propos… (face à une moue dubitative) Si, si, je t’assure…
- Va pour la blague !
- Un jour à l’école, l’instit doit aller voir le directeur et désigne Caro pour surveiller la classe pendant son absence. Elle s’installe derrière le bureau de l’instit et, évidemment, les garçons au fond de la classe tentent de la chahuter. En chœur, ils reprennent l’antienne bien connue : « Elle a pas d’culotte, elle a pas d’culotte… » et la fille culottée (si l’on peut dire) ne se dégonfle pas : toute fière, elle  soulève sa robe et exhibe une magnifique culotte toute en dentelles. Tous applaudissent  sauf Toto, un petit malin près du radiateur (comme il se doit) qui s’écrie : « Elle a pas de poils, elle a pas de poils… » La pauvre Caro ne sait que faire face à l’affront délibéré de Toto. Et alors, et alors, [comme dit la chanson] que se passa-t-il ? Et bien, « L’instit est arrivé, sans s’presser…» 
(haussant les épaules) - C’est malin comme chute mais je ne comprends toujours pas où tu veux en venir avec ta métaphore douteuse…

- C’est pourtant simple : Toto avait tout compris, il utilisait la méthode expérimentale qui veut qu’on vérifie toujours une proposition, aussi intuitive fut elle.  (Lui, doctrinal, un doigt levé) - La rigueur scientifique veut qu’il faille se méfier des déductions hâtives et des apparences (souvent trompeuses) et toujours pousser les investigations jusqu’au bout. Une véritable enquête policière.
(Elle, faussement désarçonnée) - Ah, elle a bon dos la rigueur scientifique… Ce nommé Toto ne te ressemblerait-il pas quelque peu ?
(Lui, faussement courroucé) - Remettrais-tu en cause Claude Bernard et sa méthode expérimentale, les fondements de l’esprit scientifique ?
- Ce que je remets en cause, ce serait plutôt ton esprit tordu qui fait flèche de tout bois et n’hésite pas à recourir à des arguties honteuses, à te cacher derrière une rigueur que tu prônes quand ça t’arrange.
- Dis que je suis de mauvaise foi. Prête-moi tes sentiments pendant que tu y es ! Il me semble qu’en matière de mauvaise foi, tu es une spécialiste.
- Je ne sais où j’ai lu que « l’on appelle mauvaise foi les convictions d’autrui qu’on ne partage pas. » Éclairant, n’est-ce pas ?
- Puisque nous en sommes aux échanges d’amabilités, moi je sais où j’ai lu que la mauvaise foi est « un mensonge à soi » a écrit Jean-Paul Sartre,  mais même si tu te mens, tu me mens aussi par la même occasion.
- Ne te cache pas derrière Sartre ou d’autres du même acabit… d’ailleurs Sartre n’est qu’un affreux macho qui a trompé sans vergogne sa Simone sous de fallacieux prétextes de liberté sexuelle et autre fariboles.  Ouais, un sale macho, empereur de la mauvaise foi.
- Eh ben, Sartre ne te rend pas spécialement philosophe !

<< Ch. Broussas - Histoires de femmes - 23/12/2018 © cjb © • >> 

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