dimanche 17 janvier 2016

Une étrange enquête

Les chapitres : 
* Investigation
* La banlieue des édiles
* Les marchés publiques
* l'implosion du logement
* L'art de cultiver le paradoxe
 



Une étrange enquête : Introduction

« J’ai toujours été impressionné par l’idée d’implosion, un énorme bruit et plus rien. Je l’imagine comme le grand bang planétaire qui sort de son chapeau un monde tout neuf avec un truc nouveau que même Dieu n’y aurait pas pensé : la vie. La vie comme le  cri primal de l’enfant qui la reçoit, qu’il accueille comme une agression, cette terrible dépression de l’air qui s’engouffre dans ses poumons.


Dans mes lectures erratiques, j’ai souvent rencontré d’autres bangs, des petits bangs humains ceux-là, nullement au niveau de la nature, une société qu’il faut bien prendre comme elle est, c’est-à-dire ce qu’en font les hommes qui la composent… et vlan, qui se met à foirer, la machine à recycler se met en marche et rebat les cartes. Mais les cartes sont toujours les mêmes.


Les Révolutions ont ceci de commun qu’elles implosent une société malade pour se faire imploser à leur tour, la Révolution française décapite un roi débonnaire pour le remplacer par une dictature, la Révolution russe massacre la famille impériale pour finir dans une dictature sanguinaire. La Révolution anglaise aboutit à Cromwell, la Révolution chinoise… on n’en finirait pas des révolutions où le ‘grand soir’ n’est qu’un crépuscule des dieux. 

Moi aussi, je veux apporter ma pierre à l’édifice, lui porter quelques coups de canif comme le picador titille le taureau. Il suffit parfois de peu pour provoquer mon petit bang personnel, quelques bombinettes semées ça et là dans une république assoupie, lui rappeler qu’elle est encore vivante et qu’on peut ranimer la flamme de l’enthousiasme, que rien n’est écrit dans une Histoire quine  se répète que par la cécité des hommes. 

Alors, je vais chercher la pitance là où elle se trouve, dans les petitesses, dans les compromissions, chez tous ceux qui devraient montrer la voie et ne sont que des contre exemples. Alors, je me mets en route, je guette, je  traque,  je débusque, je dénonce. Avec toute la patience dont je suis capable pour arriver à mes fins. Et, croyez-moi,  il en faut de la patience. »

Investigation

Jude Mondon, journaliste d’investigation. Définition par la fonction : de plus en plus, on est ce qu’on fait. Siècle utilitaire, Stuart Mill serait ravi depuis que tout devient objet. Les siècles passés me direz-vous, ne furent pas forcément mieux. Je le sais pour avoir enseigné l’Histoire dans une autre vie. Histoire éclatée, formatée dans des programmes. Alors, je suis allé voir ailleurs, je croyais qu’ailleurs, c’est forcément mieux… enfin un peu moins pire. Illusions. L’important, c’est de faire ce qu’on veut, même en traînant quelques boulets. Sinon, on s’arrange comme on peut.

Journaliste d’investigation, ou reporter si l’on veut, rien à voir avec les chiens écrasés. L’aristocratie du métier. Certains se font péter leur ego, c’est humain, tant mieux pour eux si ça les rassure. On nous voit souvent comme des cow-boys jouant les redresseurs de tort ou courant sous les bombes pour faire une photo. Moi, je serais plutôt dans la première catégorie, celle des fouille-merde, c’est moins noble, fouailler là où ça fait mal pour déterrer, exposer ce qui devrait rester caché. Voir l'envers du décor. Chien écrasé qui vire alors au chien de chasse.

Voilà mon trip, d’autres s’envoient en l’air, vont se balader sur la lune, s’entretuent joyeusement, s’étripent, s’écartèlent, asservissent pour jouer les maîtres, moi, je trouve plus excitant d’aller voir l'envers des choses, gratter le lyrisme des discours et le clinquant des belles médailles. Derrière le décorum, les sourires de satisfaction, le rappel des grands principes, je cherche les collusions, scrute les visages, écoute les silences. J'aime mettre les pieds dans le plat comme quand j'étais môme et que je sautais dans la cuve pieds nus, avec volupté, pour écraser les grappes de raisin, les grumes gonflées de jus roulaient en me chatouillant la plante des pieds, la pulpe bleuissait peu à peu mes pieds et mes chevilles qui trempaient dans le bouillon mousseux. C’est la même impression, ma petite madeleine personnelle.

Tout ça est fort loin, bien abstrait direz-vous, si, si, je le devine à vos soupirs, vous pensez "encore un rêveur", de ces types la tête dans les étoiles qui retombent sur leur cul un jour ou l’autre. Ou sur la tête. Des rêves pour me laver la tête, m’évader. On ne fait pas ce métier impunément, j’en ai gardé quelques stigmates. Mon boulot a des aspects de pêche à la ligne : passer beaucoup de temps à engrener, à attendre, à promener des leurres, à évaluer, attendre encore et encore, changer de tactique, appâter, attendre… en espérant être plus malin ou plus persévérant que le poisson. Rien de bien excitant, et pourtant… Parfois, on ferre du gros, bonne pioche et bonne pêche ; le pied. Les passionnés vous le diront : ça vaut tous les sacrifices. Les passions, il faut les vivre jusqu'au bout.

Je sais, il existe d’autres solutions, c’est selon son tempérament : Mon ami Jean-Christophe a aussi son truc, sa marotte, dépoussiérer des minutiers défraîchis, des registres médiévaux, des livres de comptes qui sentent le renfermé et même des olim dont il fait grand cas. Il adore écrire des articles dans des revues historiques aussi confidentielles que ses articles. Il est comme ça, inutile d’essayer de le changer. On se raconte nos histoires comme des anciens combattants. Qui ne se ressemblent pas s'assemblent aussi, nous ce sont nos différences qui nous rapprochent.

J'ai ouvert une boîte de Pandore et j'ai laissé s'envoler du vase maléfique où les dieux précautionneux avaient enfermé les maux de l'humanité, nos pauvres petites misères que ma plume rétive a réveillées et qui se répandirent alors dans les provinces en autant de ricochets. En ce moment, je vais à la pêche au gros, au très gros même, sans grande chance de succès sans doute mais l'enjeu n'est-il pas d'autant plus important que le résultat est aléatoire ? Dans une enquête –je vous parle d’expérience- l’essentiel tient au premier contact, le regard, la poignée de main, cette connivence immédiate qui conditionne la suite. 

Sinon les choses se compliquent, il faut ramer pour rattraper un mauvais départ… Regard fuyant qu’il faut capter, regard timide qu’il faut apprivoiser, regard vide à décoder, regard méprisant à amadouer, regard matois à rassurer, regard séduisant aussi dont il faut se méfier, j'en ai tant vu de ces regards où transparaissait tant de choses pour qui sait voir. 

D'instinct, d'expérience, j'essaie d'en capter l'essentiel, simple contact, premier regard échangé ou refusé, celui qui ouvre ou qui ferme la porte. Je connais trop bien ces présences insidieuses derrière des rideaux, ces portes qui tardent à s'ouvrir, qui s'entrouvrent avec regrets, appréhension, des réticences à apprivoiser. L'essentiel du métier ne s'apprend pas vraiment, j'en ai connu qui pigeaient tout de suite, d'autres qui finissaient par abandonner. Les attitudes, les gestes sont plus forts que les mots. Le corps ne ment jamais.

Heureusement, beaucoup de gens aiment parler… et moi j’aime les écouter ; quelques mots pour amorcer, un compliment bien tourné, pas trop appuyé, une petite flatterie pour certains, mettre les formes pour mettre en confiance. Je suis l’ami de tout le monde pourvu qu’on me dise ce que je veux savoir. Un peu de cynisme peut-être mais beaucoup de naturel; on ne se refait pas. J'aime cette première seconde, cette concentration qui me donne des fourmillements -c'est bon signe- pour donner la bonne impulsion, inspirer un minimum de confiance. Peut-être aussi que je me sers d'eux, que je leur tire "les vers du nez" comme on dit. Mais ça fait partie des rapports humains et moi, je n’ai que mon savoir-faire pour convaincre, aucune autre arme que mon flair et ma patience.

Dernier exemple en date où je suis rentré bredouille. Un temps précieux perdu avec un grincheux, un taiseux, le genre de type qui me donne des boutons. Rien à en tirer, fermé à double tour comme son portail. Impossible même de passer le nez, ne serait-ce qu’un instant, pour jeter un œil dans la cour. J’ai regagné mon hôtel furibond, remonté contre moi-même d’avoir échoué, de n’avoir pas su trouver l’ouverture, les mots ou le geste nécessaires. Et pas question de repêchage. Après, trop tard, les occasions perdues se rattrapent rarement. Avant-hier, j’y suis retourné. J’espérais un meilleur accueil –avec les lunatiques, c’est possible- ou tomber sur sa femme… mais non, il m’a hurlé à travers le portail de foutre le camp et je n’ai pas insisté. Il faudra trouver une autre piste. Ou renoncer.*

La banlieue des édiles

Dans les années soixante, on appelait "villes nouvelles" des espèces de jeux de construction anonymes. Une foutue idée de vouloir construire des villes à la campagne. Ville champignon ou campagne béton, au choix. Je tourne et je vire un moment en cherchant le centre ville. Pour moi, un centre ville ressemble à mes souvenirs : une belle place avec sa mairie, ses commerces, ses platanes, ses parterres de fleurs, sa poste et son église. Son marché deux fois par semaine avec l’ambiance colorée des grands jours, ses marchands ambulants au bagout intarissable, ses étals et ses marchands des quatre saisons venus des communes voisines, proposant cerises et pêches, melons et glaces à la belle saison, pommes et marrons grillés les frimas venus. Un lieu de vie, un rythme allant à l’amble avec les saisons ; une micro société bien implantée dans son terroir local.

Ici, rien de tout ça. Je me gare sans problème sur une vaste place rectangulaire en face d’une mairie toute neuve, aussi rectangulaire que la place, ou plus exactement, un bloc carré. La géométrie n’a jamais été mon fort. Pas d’église ici, remisée derrière le super marché, mais le tribunal d’instance, cube un peu plus gros que les autres, fait face à la mairie. Juste devant, s'élève ce qui doit être une sculpture en métal qui ressemble à un triangle, ce qui me change des cubes. Ne manque que la prison, rejetée encore plus loin, vers une autre campagne. 

D’ici on aperçoit au loin d’autres cubes derrière des lotissements de maisons jumelées plantées en rangs d’oignon entre le centre ville et la voie ferrée. Tout ceci m'évoque la description de Didier van Cauwelaert dans La maison des lumières : "Le jardin des Muses est une construction en béton tubulaire, hésitant entre la maternelle, le centre des impôts et la maison d'arrêt."

Tout au fond vers la ligne d’horizon, une forêt... de grues strie le paysage comme des pylônes à haute tension. Nouveaux cubes en perspective. Sur la droite, je perçois distinctement le bourdonnement lancinant des véhicules circulant sur l’autoroute. Sans m’attarder, je grimpe entre deux murs de béton brut qui marquent l’entrée du tribunal.

J’avais tâté le terrain auprès de Jo Lorrain, un ami journaliste qui connaît bien le microcosme local. Son fond de commerce comme il l’appelle, il l’étudie et le parcourt depuis vingt ans, c’est dire. Quand on veut durer ici, continuer à faire son métier malgré tout, il faut la jouer fine. Jo m’explique : « l’information, si tu veux y avoir accès, il faut la distiller, la mettre en forme, une façon de dire les choses, de les susurrer au besoin, sans provoquer de remous et te faire flinguer la fois suivante, une règle du jeu induite que tu finis par admettre si tu veux durer. Tu vois le topo ».

Je vois très bien. On balade son micro et son carnet de notes, on donne la parole aux victimes, aux témoins, aux lecteurs –on trouve toujours quelqu’un- et ensuite on arrange tout ça à la sauce locale, style alerte, austère, avenant ou primesautier selon le cas… ce qu’on apprend à force de corrections et de ratures. Les ficelles du métier, comme dans beaucoup de métiers. On compose, on met en pages, et pas seulement dans la salle de rédaction ou au marbre. J’ai connu ça moi aussi, la manière délicate de composer entre le "ce que je veux dire" et le "ce que je peux écrire"; comprendre qui saura bien lire entre les lignes. Cent fois sur le métier remets ton ouvrage… Tout ce qu’on n’apprend pas bien sûr dans une école de journalisme.

Jo reprend comme pour s’excuser, un rien désabusé, en tirant sur sa gitane maïs éteinte, « Que veux-tu, un quotidien régional ne peut pas vivre uniquement de ses ventes. La publicité est indispensable, c’est devenu sa première source de financement. » Pardi, déjà au début des années trente, Roger Vailland alors jeune journaliste, se plaignait que Paris-Midi soit gangrené par l’argent de financiers. Situation endémique. « Et rien ne s’est amélioré, conclut Jo en remisant son mégot sur l’oreille, les espoirs de la Libération n’ont pas duré longtemps. Les financiers, ceux qui donnent leur obole, qui détiennent la manne publicitaire sont bien souvent des caciques locaux ».

Mon copain a passé un accord avec lui-même -c'est son expression- pour rester correct sinon honnête et de se lever avec l’envie de bien faire son travail, d'informer ces milliers de lecteurs qui lui écrivent parfois, dont il sent toute la naïveté, la bonne foi à travers leurs lettres touchantes et maladroites, leurs façons tranchées, sans calcul, de réagir, d’approuver, de se plaindre ou de se révolter. C’est pour eux qu’il continue à croire en son métier, que ses articles ne sont pas qu’un désert de mots, qu’ils touchent vraiment ses lecteurs qui, dans leurs réactions, le touchent à leur tour.

Une de ses astuces –il m’en parle avec gourmandise, ses petits yeux clairs pleins de malice- consiste à jouer les pigistes, à envoyer à un journal parisien (de préférence) un article dont il sait pertinemment qu’il serait refusé par son rédacteur en chef. Plutôt que de le mettre au panier, il joue au correspondant –il a ses entrées dans quelques journaux- et leur refile un article ou un reportage qu’il signe d’un pseudonyme. La cerise sur le gâteau, c’est quand son rédacteur en chef qui a refusé le papier publié à Paris lui demande d’en faire un article ou un commentaire publié dans son canard local. 

Franche rigolade, il adore y glisser quelque sous-entendu sous forme évasive, une référence que seuls quelques initiés peuvent détecter. Sa façon à lui non de se venger, il n’aime pas le mot, mais de marquer son territoire, de se réapproprier un petit pouvoir personnel dans cette société anonyme où la perte d’identité est compensée par des substituts souvent dérisoires. Moments si jubilatoires en tout cas. On en rit encore quand il me raconte ses "aventures journalistiques".

Aujourd’hui, si je suis ici à Messy la ville nouvelle, c’est grâce à un papier de Jo qui m’a intrigué. Un article poisson-pilote – encore une de ses expressions- qui accuse de collusion, sans les nommer et son couvert d’une enquête sociologique sur la ville, entre le maire de Messy Paul Potte et le conseiller général du coin pour se répartir les postes. Fort bien, rien que de fort banal en politique où les pactes de non agression sont légion et permettent à chacun de conserver sa sphère d’influence tant qu’il ne marche pas sur les plates-bandes des autres. Á chacun son territoire et les électeurs seront bien gardés.

Mais à Messy, c’est plus opaque. Ces deux inconscients ont passé un contrat écrit en bonne et due forme –pourquoi pas devant notaire pendant qu’ils y étaient !- diffusés par des esprits mal intentionnés, sans doute des ‘amis’ qui se verraient bien califes à la place du calife, exhumés par mon copain Jo qui connaît tout le monde ici et est allé innocemment posé des questions embarrassantes aux deux intéressés pour recueillir pieusement des réponses très embarrassées. Petit papier allusif bien sûr mais anonyme et sans portée réelle faute de preuves, Jo ne pouvant faire état de ses sources. Comme quoi certaines sources ne sont pas très propres. Simple satisfaction d’amour-propre de sa part, qui eut pourtant certaines conséquences que Jo apprit par la suite, toujours par la même source qui apparemment n’était pas encore tarie. Un tel système fonctionne sur des interdépendances qui génèrent des solidarités.

On protège les maladroits qui se font prendre, on récompense ceux qui se sacrifient pour le bien commun; l'omerta est donc considérée comme une vertu qu'il faut récompenser. Parfois, il faut quand même sacrifier quelques pions pour satisfaire l'opinion publique, sauver l'essentiel, donner des gages de sa bonne foi et de son honnêteté. Jo s'en désole, pense parfois que son travail sert d'abord de soupape au système, à l'alléger des imprudents pris en flagrant délit, et contribue en fin de compte à le légitimer.

 « Regardez, clamait un président de Conseil général visiblement soulagé de la tournure des choses, c'est à ses capacités de régulation qu'on reconnaît un organisme qui fonctionne bien, capable d'éliminer ses brebis galeuses ». On tourne la page et on change de sujet. Ce ne sont pas les sujets qui manquent; place à l’actualité. « Un jour, me rétorque Jo trop lucide pour être dupe, j’écrirai mes mémoires quand je serai très vieux et très sage. Il faut être un vieux sage plein d’expériences et de compassion pour pardonner aux hommes et les juger avec bienveillance ». Surtout dans ce métier.

Les marchés publics

Les marchés publics, quelle belle invention ! Système complexe et mouvant tel que seuls quelques spécialistes pervers peuvent s'y retrouver, il est d'une souplesse infinie... et d'une opacité sans égal. Pourtant, ce n'est pas faute de textes pour l'encadrer... au contraire. Il y aurait plutôt pléthore en la demeure. Les moyens de le contourner sont nombreux pour qui connaît bien le cénacle, il suffit de se mettre d'accord sur l'appel d'offre et de s'arranger ensuite pour être le meilleur, c'est-à-dire le "moins-disant", le moins cher qui entre dans les critères retenus. A condition d'en être informé à temps, bien entendu. 

Une petite collusion pour fausser la concurrence et le tour est joué. Après, il suffit de réclamer des rallonges le moment venu, sous forme d'avenant. Quelle belle invention aussi que l'avenant. Son inventeur, s'il n'a pas touché de droits d'auteur, mérite bien de la nation pour avoir doté le cénacle administratif d'un tel instrument. Système quelque peu retors mais imparable s'il et bien verrouillé. Les raisons d'y recourir ne manquent pas, variant entre révisions des normes, travaux complémentaires et imprévus. Question d'imagination.
Voilà pourquoi je galère tant dans cette affaire. Omerta chez ceux qui savent, alors faute de preuves, d'éléments tangibles, impossible de publier du sérieux. 

Et moi, je refuse les "peut-être", les "sans doute", les conditionnels abusifs et redondants. Les allusions, les articles à clef, c'est bon pour débusquer les faibles, faire réagir les trouillards... on ne sait jamais. Comme dit Jo, jamais à court d'arguments, "à force de donner des coups de pieds dans la fourmilière..."

En attendant, mes meilleurs articles ont tendance à rejoindre mes archives. Et je n'aime pas écrire pour rien. Dans ce métier, l'autocensure est très répandue, pour tempérer un article, tout l'arsenal des figures de style y passe, une petite métonymie, une petite litote par ci, un petit euphémisme par là et le tour est joué. Les journalistes sont d'abord des grammairiens. Dans ce monde fermé, Jo a su se ménager une place particulière, il a ses entrées dans certaines rédactions parisiennes par exemples -sur le sujet, il est assez disert- et à son âge il n'a plus grand chose à perdre. Il m'a confié, mi figue mi raisin, que publier ses mémoires le titille parfois et je le crois volontiers.

Première étape, passage à la mairie où Jo me guide dans les arcanes des appels d'offres, aux énormes dossiers dissuasifs. On trouve pêle-mêle dans de larges classeurs, outre les appels d'offres, les rapports des commissions de dépouillement, les procès-verbaux des réunions prévues par la procédure, des tonnes de papier à l'intérêt incertain qui rebuteraient même un bénédictin. " Tiens, tu vois ce nom, pointe Jo de son gros doigt boudiné, me désignant celui d'un type dans un registre annexe de postulants à un gros marché de réfection de bâtiments à la mairie, c'est l'ami d'Edwige Renard, la vice-présidente du conseil d'administration qui siège aussi à la commission d'adjudication. Curieuse coïncidence, n'est-ce pas ! "
De l'art d'aller à l'essentiel, de pointer là où ça fait mal, tel un comptable qui lit un bilan comme un roman policier.

Après cette mise en bouche, il m'emmène dans un autre cube gris béton derrière l'immeuble de la DDE. Rendez-vous édifiant avec Yves Dourdan, un promoteur immobilier qui ne supporte plus la situation. Il commence fort : « Ici, on ponctionne en moyenne dans les 12% sur les marchés publics, ce qui pèse sur le pris du mètre carré » ironise-t-il. La technique est bien au point : « Muni des devis de mes concurrents glissés dans ma boîte aux lettres, j'établissais le mien et remportais bien sûr le marché sans difficultés. Si je veux lotir des terrains chèrement acquis, je dois en passer par là. Sinon, on n'arrête pas de me mettre des bâtons dans les roues pour l'obtention des permis de construire. Conclusion : je suis prisonnier du système tout en étant devenu complice. Situation très inconfortable » 

Il n'en dira pas plus : au-delà, il faut vraiment se mouiller, citer des lieux, des noms, prendre des risques. Par contre, pour gérer un tel trafic, il faut beaucoup d'intermédiaires, des 'porteurs de valises', des banquiers, des secrétaires, des fonctionnaires... autant de langues à délier. La traque continue.

Grand costaud, l'air hautain dans un costume impeccable, cravate stricte, bronze et beige à légères stries obliques, le type que je rencontre quelques jours plus tard ne m'inspire guère. Port quasi militaire, rigueur assez terne, pas du genre à réagir sur un coup de sang ou à se laisser facilement manœuvrer. Il s'assoit en me regardant sans aménité avec une moue grinçante sue le décor sans charme de cette arrière-salle de bistrot où j'ai mes habitudes. Tranquillité propice aux confidences.

J'ai son dossier sous le coude : parcours sans bavures, Science-Po puis haut fonctionnaire à la direction du personnel d'une préfecture avec quelques missions en Afrique dont je ne connais pas la nature. Je hoche la tête d'un air sceptique : ce genre d'individu ne parle pas, trop de certitudes, trop loin du quotidien, trop loin de types comme moi qui cherchent à découvrir ce qu'il cherche à cacher. Alors, pourquoi est-il venu. Normalement, il ne porte pas trip les journalistes dans son cœur. Malaise immédiat, je vois qu'il contemple sans expression mon dossier à reliure jaune bien en évidence sur la table. A mon tour, je le fixe en dessous et son regard dévie vers mon dossier.

«  Dossier de presse, lui dis-je en l'ouvrant ostensiblement. Vous êtes déjà un homme public et plusieurs au cours de mon enquête on m'a susurré votre nom. D'où ma curiosité. Merci de vous être dérangé. » Formule de politesse qui ne détend pas l'atmosphère. Je lui tends quelques photocopies, quelques morceaux choisis de son parcours. Ce type est un vrai cicérone qui connaît son sujet sur le bout des doigts. Ça pourrait trembler dans le "landerneau" si on sait qu'il fricote avec un journaliste. 

Pourtant il a déjà été entendu par des juges qui, jusqu'à présent, se sont toujours pris les pinceaux dans la toile d'araignée de cette affaire. Le dossier présente une vision contrastée du personnage : un battant, le menton volontaire, d'une honnêteté sourcilleuse mais dont la confiance trahie peut déclencher une haine farouche. Fort de ses convictions, il s'implique dans un subtil travail de commercial. Diplomate à l'occasion et méticuleux, il se veut l'homme de la situation; incontournable. Et même fusible à l'occasion. C'est la rançon de sa fidélité et de la puissance de ses certitudes.

Pour une simple histoire de trafic d'influence -on ne saura jamais au profit de qui- il est arrêté en pleine audience du tribunal correctionnel de Nanterre et condamné à deux ans de prison ferme. Il a le cuir dur apparemment et purge finalement 14 mois sans broncher. J'espère que son goût du sacrifice a des limites... ou qu'il parvient à résister aux pressions qu'il doit subir. Pour le tester, je fais mine de prendre des notes et le résultat est immédiat : « Rangez-moi ça, m'intima-t-il d'un ton sans réplique, pas de traces, aucune citation qu'on pourrait un jour m'opposer. » 

La plume d'un journaliste fait parfois plus d'effet qu'un révolver. Personne ne peut savoir comment un homme mis au pied du mur peut réagir, pas même lui, confronté à une réalité dont il ignore les ressorts et l'oblige à prendre des décisions à chaud, qu'il sera de toute façon trop tard pour regretter. En attendant, c'est moi qui me reproche trop de précipitation, trop de confiance, d'avoir mal évalué la situation. Plusieurs jours de perdus et une belle occasion de gâchée.

Digression sous forme de confession pour se justifier : l'histoire de son ami Robert Bardini. Un obscur tenancier de boîte de nuit l'avait accusé de racket. Mais pas moyen d'impliquer Bardini qui se tient sur ses gardes. L'action patiente de la gendarmerie, écoutes téléphoniques, surveillance discrète, analyse de ses comptes bancaires ne donnent aucun résultat. Qu'à cela ne tienne, elle décide alors de le piéger avec l'aide du tenancier. Pendant que celui-ci lui tend brusquement une enveloppe bourrée de billets à la sortie du restaurant où il s'est attardé en compagnie d'un ami, la police en embuscade, contemple la scène. Flagrant délit, il est tombé dans ce piège imparable. De Bardini à lui, il n'y avait qu'un pas... que certains franchirent allègrement. Il est dangereux il sait et ils le savent.

« Je sais ce qui vous intéresse : les fameux marchés publics où les flics se sont jusqu'à présent cassé les dents. Une procédure complexe mais facile à contourner, pour peu qu'on ait quelques compétences et un bon réseau. En gros, je signalais discrètement -la discrétion est la principale qualité dans ce domaine- les marchés les plus importants, les appels d'offre dépassant le million d'euros, et donnais les données chiffrées pour postuler et être retenu à coup sûr. Les transactions s'effectuaient le plus souvent dans un bar à vin de la rue Censier. Voilà pourquoi j'ai eu peur quand les flics l'ont piégé. Et je pourrais être à mon tour victime d'une telle mise en scène. De toute façon, il a écopé de six mois de prison ferme mais j'ai toujours eu le sentiment que c'est moi qu'ils visaient. L'atteindre pour m'atteindre ensuite; la technique du ricochet. Je suis en première ligne, alors vous donner des informations, d'accord mais aller plus loin, pas question. »

L’implosion du logement

Obtenir un logement dans le centre d’une grande ville et surtout à Paris, est galère et relève souvent du parcours du combattant… à moins d’avoir de gros moyens. D’où l’idée de petits malins d’en profiter et de suggérer aux candidats locataires, d’aider le destin et d’éclairer les arcanes de la machine administrative où les béotiens s’égarent et se perdent.

Derrière le bureau d’un boutonneux cravaté, je jouai donc au béotien, timide et découragé par avance et il m’aiguilla sans ambages vers le bureau de sa responsable, madame Monique Lacour était-il indiqué sur sa porte. Elle me reçut avec un large sourire, m’invita à m’asseoir –je crus même qu’elle allait pousser l’hospitalité à m’offrir le café- et m’expliqua tout comme à un débile. J’étais sous sa coupe, pieds et poings liés. « Ah bon, vous pensez que c’est efficace, vous estimez que c’est possible ? » demandai-je, chattemite.

Bien sûr  que c’était possible, c’est même pourquoi son sbire boutonneux me l’avait refilé. Bien sûr qu’elle estimait cette belle blonde qui me jaugeait en me faisant l’article. Dans le bel appartement qu’elle me fit visiter dans le XIème arrondissement« je vous le montre à vous celui-là mais il n’est pas encore officiellement à louer », je remerciai pour les égards dont elle me gratifiait- elle minaude, se fait tirer l’oreille, « vraiment, vous êtes exigent, vous dénicher un beau quatre pièces dans un quartier tranquille, comme vous y allez ! », je la titillais, maniant le chaud et le froid, l’air maintenant du type qui a les moyens.

Elle reprit son rôle d’hôtesse compétente pour finalement me confier au bout d’une heure, sous le sceau du secret, « il y aurait bien une solution cependant, mais… », une espérance aussitôt démentie par cette objection et ces points de suspension inquiétants, elle savait mener sa barque la belle Monique. A force de tourner autour du pot, elle lâchait bribe par bribe les informations et ses conditions. Je me laissais faire, plutôt conciliant maintenant. Et elle finit, confidence suprême susurrée dans le creux de l’oreille, par me confier le montant de la transaction qui devait "débloquer son dossier" et faire mon bonheur. Entrevue fort édifiante. Il ne restait plus qu’à fixer un nouveau rendez-vous dans un endroit discret pour verser le liquide qui devait mettre de l’huile dans les rouages administratifs.

Deux jours plus tard, la police judiciaire interpelait en flagrant délit la belle courtière devant les locaux de l’Immobilière Batignolles avec dans son sac les beaux écus dûment répertoriés que je venais de lui remettre. Indignée, interloquée, elle fut immédiatement mise en garde à vue. Scandale assuré pour cette agence de bonne réputation dont l’avenir fut ruiné dès cet instant. Amusé, je suivis les confrontations houleuses entre Éliane et ses deux acolytes, sous la férule d’un commissaire qui connaissait sa partition sur le bout des doigts, jouant avec subtilité de leurs différends pour dégager de la gangue de propos contradictoires quelques parcelles de vérité. Résultat deux ans plus tard devant le tribunal correctionnel, Éliane est condamnée pour corruption passive et recel à six mois de prison avec sursis et une poignée de cerises comme amende. Seuls des comparses furent condamnés mais elle eut du mal à digérer ses trois semaines de garde à vue.

Curieusement,  c’est dans une tout autre affaire que l’année suivante, j’ai retrouvé un type que j’avais vaguement croisé dans l’Immobilière Batignolles : le propre mari de la belle Éliane, Jean-Pierre Lacour, qu’il visitait tous les jours dans sa cellule tout confort pendant sa garde à vue. Homme effacé, mari modèle, gérant de la société Lacour honorablement connue dans tout le département, il a apparemment tout pour lui. Trop beau pour être honnête.

J’enquêtais alors sur une affaire de passe-droit pour l’attribution d’appartements. Rien de bien excitant en principe, peu de chance de déboucher sur du palpitant mais la routine cache parfois des pépites. Ainsi, à y regarder de plus près, j’y décelai des ressemblances troublantes : un réseau interne se débrouille pour geler des appartements publics, les refile à une société qui sous traite le marché et les loue à ses conditions ou passe le témoin à une officine qui cherche des clients assez complaisants pour verser des dessous-de-table. En théorie, tout le monde semble y gagner… 

Système simple dans sa conception –et souvent utilisé- mais complexe à organiser. Il faut gérer les complicités nécessaires au montage de ces opérations et synchroniser les actions de différents acteurs en brouillant les pistes pour éviter les recoupements. Pour l’instant, je prends la température, explorant, cherchant une ouverture, une piste. L’ouverture, je la trouve un soir dans ma boîte aux lettres sous la forme d’une grosse enveloppe de mauvais papier.

Pochette surprise. Ce n’est pas la première fois qu’on use de ce stratagème et qu’on m’offre le fruit d’une petite vengeance mûrement ourdie… Installé confortablement dans mon fauteuil, je sursaute sur un nom bien connu : Serge Lacour. Bonne pioche. Dans la famille Lacour, prenez le fils Serge, un dilettante casé par on père dans une sinécure à sa mesure, en fait un emploi fictif faute de mieux, mais l’affaire fit long feu ; affaire étouffée dans l’œuf, circulez…

Les jours passent et l’actualité dérive toujours vers d’autres scoops, d’autres curiosités comme la vie quotidienne en offre à foison. Je garde mon dossier sous le coude en attendant des jours meilleurs. Patience, quand tu nous tiens… J’enchaîne quelques papiers sans grand intérêt, articles alimentaires où voir mon nom en signature n’excite pas forcément mon ego. Même si ça peut en rassurer certains. Quand je deviens lyrique, c’est un signe, celui que je manque de matière et que je compense par une faconde qui dépasse l’espace qu’on m’a alloué.

En fait, je rumine sur ces mystérieux documents que le Père Noël a glissés dans ma boîte aux lettres sans me donner le mode d’emploi. Toujours les mêmes questions sur les motivations de mon généreux donateur, toujours la crainte d’être victime d’une manipulation, d’une provocation, qu’on se serve de moi pour une histoire de règlement de comptes. En général, derrière ce genre de démarche se cache des jalousies rancies par le temps, une manœuvre pour faire chuter un concurrent. 

Ou alors un type qui a longtemps encaissé et se rend compte subitement qu’il ne peut plus encaisser, cautionner, système dont il se sent prisonnier, comme un rejet du corps qui refuse dorénavant de continuer. Situation la plus redoutable par son contenu négatif et les informations que détient le "traître". Avec ce genre de personnage, ce n’est jamais gagné, il peut avoir des doutes, être rongé par le remords, la peur des conséquences. Avec ce genre de type, c’est tout ou rien.

Dans cette banlieue triste, la maison ressemble à toutes celles qui l’entourent. Volets tirés. Juste quelques aboiements accueillent mon arrivée derrière un grand portail aveugle sans couleur et redoublent quand j’actionne la sonnette à tirette au son grêle. Je distingue quand même une balançoire aux couleurs crues vertes et rouges sous un tilleul malingre  qui casse la rigueur grise des murs en béton. Dans un grincement de serrure, une fenêtre s’ouvre au premier étage.

- « Qu’est-ce que c’est », siffle une voix méfiante
- « Je cherche monsieur Pierre Mertens, entrepreneur en maçonnerie » répondis-je d’un ton le plus neutre possible.
- « Alors, allez voir au cimetière… »
J’en restai sans voix.
- « Attendez, je descends. »

Apparemment la dame était plutôt contente d’avoir de la visite.
Elle se meut avec difficulté, cramponnée à la rampe d’escalier et descend de travers pour soulager sa hanche.
- « Depuis mon opération, je sors rarement. C’est le voisin qui vous envoie ? »
- « Pas du tout, je cherche monsieur Pierre Mertens au sujet de son entreprise de maçonnerie. »
Elle fronce les sourcils et me regarde avec commisération.
« Mon pauvre monsieur, vous ne savez donc rien de ce qui s’est passé ici. L’entreprise de monsieur Mertens n’existe plus depuis une bonne année. »

Visiblement, elle brûlait de me raconter cette histoire dans ses moindres détails. Pas pressée la dame mais le café est bon. C’est le genre volubile qui peut en rajouter mais sans plus ; assez fiable en principe. De toute façon, ma matinée est fichait alors autant écouter son récit. La patience est bien la vertu cardinale de ce fichu métier. Et je ne l’ai pas regretté. J’appris que le brave entrepreneur avait tué sa femme Monique dans un accès de jalousie et avait retourné le fusil contre lui. Fin du premier acte. Comme aucun repreneur ne s’était manifesté,  l’entreprise ferma, ses maigres actifs vendus et dispersés. Il ne restait rien de l’entreprise Mertens.

« Chou blanc » me répétais-je, irrité de l’inanité de mes efforts et d’avoir perdu mon temps. Au moment de partir, nous étions déjà sur le perron, elle s’exclama : « Au fait, j’y pense, ils m’ont laissé dans le garage tout un tas d’archives de sa société dont je ne sais que faire, qui m’encombrent. Ça ne vous intéresserait pas par hasard ? »

Bien sûr que si, ma brave dame ; que ne le disiez-vous pas plus tôt ? En fait, je jouai les indifférents et si j’acceptai, « c’était bien pour vous débarrasser. » 
Les archives, c’est comme un iceberg, quelques dossiers émergent mais l’important est souvent planqué dans le fatras d’une masse de tirer  a priori sans grand intérêt. Avec mon copain Jo et sa réserve de ‘papier maïs’, on s’est lancé dans ce travail de bénédictin pour tenter de  tirer "la substantifique moelle " de cet ensemble informe. Beaucoup de courriers, de comptes-rendus, des pièces comptables à foison.

Ce sont des lettres à en-tête qui m’ont intrigué : la petite entreprise de Pierre Mertens avait remporté le gros lot sous forme d’un  mirifique contrat de maintenance à la GIL (Générale Immobilière de Logement), filiale de l’office HLM de la région parisienne. D’où les lettres à en-tête tricolores. Les fiches de paie l’attestent : Mertens a embauché à tour de bras pour honorer les clauses de ce contrat inespéré pour une modeste entreprise, sans trop se poser de questions semble-t-il, au moins dans un premier temps, tout content de l’aubaine et se rengorgeant de ses compétences si bien récompensées. J’imagine que Monique en rajoutait sur les dons supposés de son très cher mari.

Ce si beau contrat causera sa perte. Lui qui se croyait si malin, lui qui se vantait dans le quartier d’avoir un flair de chien policier, fier et sûr de sa réussite toute neuve, va découvrir par hasard qu’en fait il n’y est pour rien et que tout vient de sa femme, la belle Monique, "au mieux" comme on disait, avec le premier adjoint au maire qui gérait les marchés publics de la ville, homme affable portant beau et toujours "bien accompagné". Lui reviendra alors en mémoire certaines remarques équivoques, certains sourires qui prenaient soudain tout leur sens, des indices que sur le moment il mit sur le compte de sa jalousie.

Lui qui raillait la jalousie de ses concurrents malheureux pour sa réussite toute neuve devint fou furieux et mena une vie infernale à Monique qui ne le supporta pas longtemps. « Si vous aviez entendu les scènes de ménage, qui devinrent l’attraction du quartier », commentait la dame en gloussant. « J’habitais à l’époque l’immeuble d’en face, alors autant vous dire que j’étais aux premières loges et je peux vous affirmer que certains soirs, c’était pas seulement les noms d’oiseaux qui volaient. D’ailleurs, les flics sont intervenus à deux reprises pour les calmer. On s’attendait chaque jour à ce que Monique fasse ses bagages et les candidats ne manquaient pas pour l’héberger. Et pas seulement son bel adjoint au maire. »
Je la laissais exhaler son venin, espérant quelque confidence qui ferait avancer mon enquête, n’osant l’interrompre par des questions malvenues.

«  Et le drame s’est produit. Un soir de dispute habituelle, on a entendu un coup de feu puis plus rien, plus aucun éclat de voix, plus aucune invective,  un silence inquiétant, puis une minute plus tard une seconde déflagration.  Arrivée rapidement sur les lieux, la police ne put que constater le drame. Ils gisaient tous les deux près du sofa du salon, tués d’une décharge de chevrotine, réunis pour toujours. On en a eu la confirmation quand l’ambulance s’est garée devant la maison et qu’ils allèrent chercher une civière. »

« Que pouvaient-ils bien se dire pendant leurs disputes, en dehors des insultes et de l’adultère ? » hasardais-je.

Elle me regarda bizarrement, surprise par la question.
« Maintenant que vous m’y faites penser, c’est vrai qu’ils se balançaient des menaces à la figure. "Je sais ce que je sais" lui disait-elle et tu n’as pas intérêt à me chercher. Lui répliquait qu’elle était largement mouillée dans cette affaire et son gigolo aussi ; qu’il avait des preuves qui pourraient permettre de remonter au moins jusqu’au maire. » 

A force de farfouiller dans les documents, j’ai découvert ensuite un truc troublant : un gros chantier non facturé dans un bel appartement du centre-ville, refait à neuf pour l’occasion. Avec un loyer défiant toute concurrence, bien situé dans le 15ème arrondissement de Paris. Le gros nez de Jo frétillait comme une baguette de sourcier ; c’était bon signe. Son index boudiné pointa le bas d’un banal document, une quittance de loyer annexée à une facture de travaux. « Bingo, s’exclama-t-il avec un large sourire, j’ai l’impression d’avoir ferré une bonne prise, prépare l’épuisette. » Il faisait mine de tirer sur une canne à pêche pour ramener sa grosse prise sur la berge, fit durer le suspens : « Dans la famille Lacour, donnez-moi… »

Curieuse coïncidence, j’eus du mal à m’en convaincre. Mais tout laissait à penser qu’il s’agissait du fils Lacour. Nous en eûmes la confirmation en compulsant d’autres fiches. Les notes de travaux honorées par monsieur Mertens s’égrenaient en une symphonie comptable insipide qui s’entassait sur la longue table. Gros travaux d’autant plus surprenants qu’ils reposaient sur des matériaux inconnus dans un appartement HLM : un granit blanc légèrement gaufré pour la salle de bain et du comblanchien pour la terrasse. Rien que du premier choix. De quoi nous laisser perplexes sur les raisons de ces anomalies.

Pour prendre de tels risques, il fallait que les Lacour fussent certains de leur affaire et persuadés de leur impunité. Immédiatement, je déclenchai le plan Lacour : visite des lieux, photos, enquête de voisinage, contacts avec les ouvriers, les artisans, tous ceux qui avaient travaillé dans l’appartement, qui pouvaient nous fournir des informations intéressantes. Le lendemain, je me présente en grande tenue de maître d’œuvre chargé de vérifier la conformité du plan de charge, faisant ma cour à la concierge qui balaie la sienne. Mise en confiance par mon entregent légendaire et ma serviette bourrée de papiers, elle me guide jusqu’au dernier étage de l’immeuble, sans cesser de pérorer, me racontant les allers et venues des uns et des autres, les travaux qui n’en finissaient pas et qui l’ont mis dans tous ses états pendant des mois.

- Ils ont mis mes escaliers dans un état… si vous saviez… et ils n’en finissaient pas. Les artisans, eux, ils étaient contents, un travail intéressant et bien payé paraît-il. Ils faisaient même traîner un peu et je leur faisait la chasse avec leur ciment et leur plâtre qui laissaient des traces partout.

J’ai toujours eu la cote avec les concierges, et elles en savent des choses ! De la terrasse, la vue est vraiment magnifique et je constate le beau comblanchien posé en quinconce pour augmenter l’impression de volume, de l’ophite pour donner plus de cachet à la salle de bain, la fausse cheminée de marbre veiné dans le séjour et l’opulence des tentures. Monsieur Mertens était décidément un homme remarquable, et si désintéressé, puisqu’il a réalisé ces travaux somptuaires gratuitement et a même réglé les factures des matériaux sur ses propres deniers. Une telle attitude tiendrait de la sainteté s’il n’existait des raisons plus prosaïques.

Présenté ainsi, on comprend mieux qu’il ait remporté un juteux marché public haut la main pour, en quelque sorte, compenser ses libéralités. Belle preuve d’amitié avec les Lacour qui fonctionne comme des vases communicants. Un donnant-donnant piloté par Monique Lacour et son amant, grand manitou des marchés publics à la mairie, ce qui facilite bien les choses. Ne restait plus qu’à gratter la plaie Mertens et à lui donner l’audience qu’elle méritait. Avec son flair, Jo a retrouvé facilement les deux ouvriers qui travaillèrent dans l’appartement d’Alain Lacour pendant plusieurs mois. Ils reconnurent sans hésiter la belle Monique venue souvent superviser les travaux, jouant les maîtres d’œuvre sans vergogne en usant leurs nerfs.

Ils en riaient maintenant mais à l’époque, ils la supportaient de plus en plus mal, la surnommant entre eux "pot de colle". « Allez donc voir la Société Fitou  ajoutèrent-ils, c’est le carreleur qui est intervenu, un sacré pro spécialisé dans la pose de ces matériaux délicats à  manier. » Et Fitou a confirmé « du beau travail avec des matériaux de premier choix.  Si je m’en souviens, pardi, c’est pas tous les jours qu’on me propose de genre de chantier. » 

Quant à la belle Monique, il ne l’a pas oubliée non plus : « Ah, "pot de colle", c’était un cas celle-là elle se mêlait de tout. J’ai même dû déplacer le lavabo de la salle de bain et remplacer la frise à motifs. On voit bien que ce n’est pas elle qui payait la note ! »
À part Monique, les ouvriers en ont gardé un excellent souvenir, pas bousculés, pas de chef sur le dos, « surtout ne lésinez pas sur la pose » susurrait le père Mertens quand il passait en coup de vent superviser les finissions et l’avancement des travaux, soucieux de donner toute satisfaction à son commanditaire. 

Et justement, Mertens le petit entrepreneur consciencieux, méticuleux, notait tout. Sur deux factures réglées pour du comblanchien et du marbre blanc de Carrare –pourquoi lésiner quand les autres paient ?- il précise en marge : « payé ce jour pour appartement Lacour, 19 cours de la république. » Pas besoin d’indiquer la commune ; manquait que le numéro de téléphone. Un homme précieux ce Mertens, qui avait laissé des pépites dans les recoins de sa comptabilité. Les traces ne manquaient pas, encore fallait-il les dénicher… et avoir une patience infinie.

Je pensais déjà aux articles vengeurs que j’allais publier, allusion lentement distillées, feuilleton constellé de fac-similés puisés avec volupté dans ces documents. J’allais utiliser à mon tour la méthode Mertens : éparpiller aux quatre coins de mes articles les petits cailloux blancs menant à la vérité. Les lecteurs adorent ça.

Quatre heures déjà qu’ils étaient penchés sur ces satanées fiches, à les torturer pour leur faire cracher leurs secrets. Jo avait posé ses lunettes d’écaille et se massait les tempes pour décompresser. Il tapota du doigt sur une fiche tout en réfléchissant aux données qu’il avait sous les yeux. « Celle-là a fait l’objet d’une facture n°190146 réglée le 19 septembre 1989, précision apportée comme d’habitude par ce bon monsieur Mertens qu’on ne remerciera jamais assez. »

Ainsi, nous passions à la facturation. Méthode classique : on facture des travaux complémentaires dont on gonfle le prix ou carrément imaginaires, ce qui permet de se rattraper sur le manque à gagner des commissions et des adjudications sous-évaluées pour respecter le "moins disant " des marchés publics. Et le tour est joué.

Mais Jo n’est toujours pas satisfait. Il se râpe les doigts sur une barbe de deux jours puis se masse les ailes du nez. C’est bon signe. J’attends sans rien dire : Jo ne pipe mot et quand ses neurones commencent à fumer, ce n’est pas moment. Comme un joueur de poker, il avance en silence deux autres fiches sur la table. Deux factures de sous-traitant. « Tapis » annonce-t-il, baignant dans son jus. « Factures siamoises, triomphe Jo, regarde Jude, le même intitulé : "réfection pour dégâts des eaux et ragréage du toit-terrasse". « L’une des deux est fausse. Il suffit d’aller contrôler dans leur comptabilité pour constater l’absence de facturation directe ; signe qui ne trompe pas. »

Pour "faire du black" comme on dit, il suffit de libeller un chèque passé en comptabilité et d’en récupérer une grosse partie en liquide. A condition de ne pas en abuser. La combine a des faiblesses que Jo sait très bien exploiter mais c’est un boulot de bénédictin et tout le monde ne s’appelle pas Jo ! Il est temps de faire une pause bien gagnée. Pour fêter ça et qu’il fait une chaleur étouffante dans le bureau, je file chercher deux bières bien frappées.

L’art de cultiver le paradoxe

Le lendemain, un gros titre s’étalait sans pudeur à la une de mon journal, titre assez sibyllin pour susciter la curiosité : "Pris la main dans le sac" (le sac de ciment bien entendu) J’y avais passé toute la nuit, fier du résultat. En édulcorant un peu pour éviter les discussions rituelles avec mon rédacteur en chef, juste ce qu’il faut pour obtenir mon bon à tirer, mais en glissant dans mon article ces petits cailloux blancs dont je suis friand.

Puis silence radio. Aucune réaction, presque rien de repris dans les autres médias. Déception. Difficile d’exprimer mon ressenti après tous ces efforts, les refus essuyés, les nuits blanches, les recherches et les attentes interminables, tout ça pour en arriver là.  Juste quelques citations dans une dépêche, quelques lignes chez de rares confrères. Le pétard avait fait long feu. Une impression de vide après des semaines d’intense activité qui débouchait sur ce résultat dérisoire.

Et ce n’est pas fini. Longtemps après, parce que la justice est très lente, le procureur classa sans suite la plainte qui suivit la publication de mon article. Désolé me dit-on, pas assez d’éléments concrets, de preuves pour avoir une chance de condamnation. « Vous êtres journaliste me fit-on remarquer, pas justicier. » Je pensais à Louis Dourdan, un type qui s’était mouillé dans cette affaire, à certains témoins qui avaient accepté de prendre des risques, des sources précieuses, essence même de l’enquête, cette belle occasion ratée et à cette omerta que cimentent les intérêts croisés. Trop d’interdépendances pour parvenir à dévider la pelote de la vérité.

Y’a des moments où la vie vous glisse entre les doigts et où on se dit que rien ne sert à rien. Heureusement que Jo veillait aux grains et me remonta le moral. Sinon, j’aurais volontiers tout envoyé balader.

Une chose me gênait mais je ne savais trop quoi ; comme un raclement de gorge allergique qui dérange. C’est Yves Dourdan qui me donna la clé en invoquant la chronologie de l’affaire : l’entreprise Mertens n’avait pas disparu à la mort de son fondateur mais liquidée quelques temps avant. A croire qu’ils n’en avaient plus besoin ou qu’elle devenait dangereuse. Mertens, bouffi de jalousie, grisé par sa réussite, devenait de plus en plus incontrôlable. Plus dure sera la chute…

Les archives que j’avais récupérées à son ancien domicile n’étaient donc qu’une partie de l’iceberg Mertens. Ces documents devant être conservés plusieurs années,  on devrait facilement en retrouver la trace au tribunal de commerce et j’y trouvais au moins l’adresse de la société d’archivage qui stockait la documentation Mertens. Et là-bas, sur place, dans un bâtiment en tôle, une surprise de taille nous attendait. Bavard et obséquieux, un type rondouillard dans un costume bleu bien coupé nous apprit l’impensable, avec ses excuses et son plus beau sourire : les archives Mertens «  avaient  été victimes d’un malencontreux dégât des eaux et devenues pratiquement inexploitables. »

Il devint un peu moins avenant –et même carrément désagréable- quand Jo lui demanda des précisions sur  cet "incident regrettable" et les documents qui en attestaient les circonstances. Pas de rapport d’assurance, pas nécessaire puisque aucun préjudice chiffré n’avait été déclaré. Pas d’enquête non plus puisqu’une simple déclaration sur papier libre suffit à la compagnie d’assurance pour enregistrer le sinistre. Un non événement pour bloquer toute enquête ultérieure. Le fameux document était d’une indigence remarquable et ne contenait aucune information véritable, aucun détail susceptible de donner une indication. Rien d’exploitable. De l’art d’utiliser le style administratif pour ne rien dire.

Yves Dourdan, mis au courant de ce vaudeville, déboula dans le dépôt d’archives et terrorisa l’élégant responsable qui perdit de sa superbe, prêt à avouer tout ce qu’on voudrait. Mais aucun élément sérieux, aucune preuve. Il eut beau mettre à sac les registres comptables et la facturation, il ne trouva rien d’intéressant, aucun document déclassé, rien non plus qui prouvât l’intention volontaire de s’attaquer aux archives Mertens, de la endommager gravement ou de les détruire. Seul élément troublant : elles étaient pratiquement les seules à avoir été touchées par le dégât des eaux.

Personne n’avait été lésé et personne n’avait intérêt à ce qu’un journaliste fasse du zèle. Quand nous arrivâmes, appelés par Dourdan qui espérait notre appui, le responsable pantelant et décomposé, ficelé comme un sac. Affolés par le coup de sang de Dourdan, nous le réconfortâmes comme nous pûmes mais il ne nous en sut aucun gré, hurlant qu’on était des tortionnaires et menaçant d’appeler la police. Merveilleuse porte de sortie pour nous. Je lui tendis le téléphone en le mettant au défi de passer à l’acte : « Ne vous gênez pas, je vous en prie, vous avez beaucoup plus à perdre que nous ! » La tension retomba immédiatement de deux crans et il repoussa le combiné d’une main en soupirant. Mais il ne parlerait plus.

Ce farceur de Dourdan allait continuer son enquête malgré nos avertissements, firent sensation,  découvrant que le nouveau propriétaire de l’entreprise Mertens –ou ce qu’il en restait- mourut dans un accident de voiture peu de temps après. Il fantasma tant sur ce fait divers qu’il y vit un complot visant à l’éliminer comme avait disparu Mertens. Ses articles parus dans des feuilles à scandale et il eut même l’honneur du journal télévisé. Mais médiatisation et justice ne font pas forcément bon ménage.

Je pensais très irrité à ce puzzle qu’avec Jo, nous n’étions pas parvenus à reconstituer : enquête mal ficelée, pas assez centrée sur l’objectif, pistes mal exploitées ou délaissées… Ce type de la société d’archivage n’était peut-être même pas impliqué dans la destruction de documents Mertens. Quant au décès du nouveau propriétaire…

Beaucoup de questions restaient en suspens : qui tirait les ficelles et avait assez de  pouvoir pour truquer les marchés publics, où allait cette manne financière, résurgence dont on perdait la trace dans les arcanes de montages financiers et qui ressortait forcément quelque part sous forme de liquidités, où était la double comptabilité qui aurait pu permettre de reconstituer l’ensemble des opérations ? Alors, je titillais dans mes articles, allusions et sous-entendus –toujours la même méthode- poser des jalons et saupoudrer du poil à gratter. Précautions aléatoires pour gagner du temps avant que mon rédacteur en chef me coupe les bras ou me refile une autre enquête… plus rentable pour le journal.

Bien sûr de lourds soupçons pesaient sur les Lacour, trop de coïncidences qui s’ajoutaient à l’affaire de l’Immobilière Batignolles. Jean-Pierre Lacour ne pouvait être lui-même qu’un maillon certes important, mais un élément d’un système plus complexe de détournement de fonds publics. Même si les Lacour jouaient sur plusieurs tableaux, marchés publics, fausses factures, recyclages financiers, même s’ils abusaient de leur position pour l’attribution d’appartements, ils n’avaient pas l’autorité, la surface suffisante pour monter de telles opérations.

« Alors, soufflait mon rédacteur en chef visiblement irrité par le cours que prenait mon enquête, et maintenant ? » Il avait raison et je me posais la même question. Dans quelle voix rebondir après cet échec ? Je ne me sentais ni détective ni justicier chargé de réparer des injustices. Et justement, en matière d’injustices, j’allais être servi.

La belle Monique Lacour  avait purgé sans broncher ses quelques mois de prison, soutenue sans faille par la famille. Le fils ne fut finalement jamais inquiété, habitant toujours son bel appartement au loyer imbattable ; il parvint même à louer le sien à un bon prix, empochant sans vergogne la différence, par l’Immobilière Batignolles qui avait pudiquement changé de nom entre temps. Quant au père, pourtant très impliqué dans les deux affaires de détournement de fonds publics, il venait d’obtenir un non-lieu après quelques jours de garde à vue. Pour eux, tout finissait bien dans le meilleur des mondes possibles. Pour Jo et moi par contre, tout allait de travers dans un monde semé d’embuches.

Le responsable de la société d’archivage, une fois remis de ses émotions, avait porté plainte non seulement contre Yves Dourdan mais aussi contre Jo et moi. Malgré explications et dénégations, je vous dis pas la tête de mon rédacteur en chef. Je pris ma mine la plus déconfite pour jouer mon rôle de victime expiatoire et tenter de noyer le poisson sous des flots de détails. A chacun son rôle et personne n’était dupe.

Pendant que j’étais assigné devant le tribunal correctionnel de Nanterre, les Lacour étaient libres de leurs mouvements, libres de dépenser à leur guise tout cet argent si malhonnêtement gagné. Il paraît que ce genre d’argent brûle les doigts et ce jour-là, rentrant chez moi après une audience difficile, je sais qu’ils devaient aller à la Tour d’argent fêter l’anniversaire de la belle Monique qui devait terroriser son entourage encore plus que d’habitude et –pourquoi pas- trinquer aussi à ma santé.

Jo tentait quelque action d’arrière-garde et avait convaincu Dourdan de faire du sit-in sur le trottoir devant la devanture de leur nouveau siège social de l’ImmoBat and Co, faisant fuir les clients potentiels au grand dam des propriétaires. Il n’y a pas de petites vengeances.   
Quant à moi, j’eus aussi en quelque sorte le dernier mot –j’y tenais comme Dourdan tenait à sa vengeance- en transformant mon enquête en fiction, espèce de feuilleton à clefs qui tint les lecteurs en haleine pendant plusieurs semaines. Je renouais non sans malice (et jubilation) avec un genre longtemps en vogue et assez oublié maintenant, quand chaque journal s’honorait de publier son feuilleton quotidien.
Il faudra bien qu’un jour j’écrive sur l’art de cultiver le paradoxe.

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• maj 17 janvier 2016 - • cjb • >>>>>
    

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